La notoriété de ce film allemand de 1929 fut surtout construite a posteriori, lorsque les carrières hollywoodiennes de ses différents créateurs firent d’eux des stars : Siodmack (Les Tueurs, 1946) Ulmer (Détour, 1945), Billy Wilder (qu’on ne présente plus) et Fred Zinnemann (Le train sifflera trois fois, 1952) sont ainsi impliqués dans son élaboration.
Annoncé comme un « film sans acteurs », le récit prend des formes hybrides qui naviguent entre la fiction et le documentaire. Cinq personnages se distinguent, donc un quatuor que nous allons suivre dans les délices des loisirs oisifs du dimanche, au bord de l’eau, entre baignade et pique-nique. L’ambiance gentiment libertine rappelle un peu ce que sera la Partie de Campagne de Renoir en 1936, où les jeux de séduction et de jalousie semblent encouragés par le soleil, la nature et la liberté.
Mais ces différents personnages ont une fonction plus réfléchie que celle de ce simple marivaudage : ils s’insèrent dans un propos plus large annoncé par le titre, qui cherche à donner une vue de surplomb sur cette vie singulière qu’est la pause dominicale dans une ville aussi dense que celle de Berlin (où, dira le carton final, « 4 millions de gens attendent le prochain dimanche »). La cité est ainsi filmée en plans larges, souvent grâce à des caméras embarquées sur les bateaux ou trams pour en montrer les artères, les foules, les badauds, et montrer un temps d’insouciance de la République de Weimar qui ignore alors à quel point ses jours sont comptés.
L’enthousiasme n’a pas grand-chose à voir avec la frénésie d’un Dziga Vertov, justement parce que le propos premier n’est pas de saluer les mérites de l’industrialisation ou la puissance d’une nation, mais bien de regarder la façon dont les individus investissent l’espace lorsqu’on n’exige pas d’eux qu’ils l’alimentent par leur travail. La fonction de la fiction permet ainsi une variante très importante dans l’échelle des plans, les visages étant filmés de très près, pour donner chair et émotion à ces silhouettes multiples, ce choix de personnages faisant d’eux des archétypes (les deux hommes, l’un plus entreprenant que l’autre, une blonde, une brune) des berlinois et berlinoises.
En résulte un tableau exhaustif et poétique, où les jeux du soleil et de l’eau répondent à la minéralité de la ville, par une grande insistance sur son statuaire notamment, où la dynamique des transports trouve son contrepoint dans la paresse d’une sieste, et où la fiction transforme les chevilles ouvrières de la vie moderne en aspirants à un bonheur simple, encore possible à atteindre. Sur cet aspect aussi, Les hommes le dimanche prend une dimension tragiquement bienfaisante, cette pause dominicale reflétant parfaitement les goldene Zwanziger, équivalent allemande des années folles, avant la dévastatrice reprise des hostilités que sera 1933.