Puisque le cinéma a très vite remplacé la littérature auprès du public du XXème siècle, il a été à sa charge de reprendre la légende nationale et d’aborder en fresques épiques les conflits qui font l’Histoire. Le film de guerre est un genre en soi, et on ne compte plus les œuvres qui confondent témoignage et parti-pris, dénonciation et propagande. Dans son acception la plus simpliste, un film de guerre se doit de délimiter des camps, de donner raison à l’un d’entre eux, et de valoriser l’héroïsme sacrificiel de ceux qui y agissent.
Autant d’éléments totalement absents de ce film de Jean Dewever, au titre bien ironique : d’honneur, il sera bien peu question, si ce n’est au profit du pire, l’orgueil conduisant à la reprise d’un conflit qui ne demandait qu’à s’achever.
La situation, déjà en elle-même singulière, est en effet celle d’un épilogue : en pleine Libération, la France vit des heures étranges. Le prologue, qui présente une ville au petit matin, mélange des images évoquant la fête municipale de a veille et les stigmates d’une violence crue, par des impacts de balles au mur et un pendu se balançant nonchalamment. Ce mélange improbable, ce sentiment d’arriver après l’action sera le centre névralgique de ce film atypique.
Dewever n’a que faire des hauts faits : l’espace est entièrement découpé en trois pôles à géométrique variable : les américains, non loin, dont on commente l’arrivée, les allemands ne demandant qu’à lever le camp, et, au milieu, les français, occupant un territoire trouble. Certains insurgés sont encore réfugiés dans le clocher de l’église, d’autres attendent passivement de passer d’un camp à un autre, d’autres encore se décident à intervenir lorsqu’ils auront la certitude que la victoire est acquise… et après un bon repas au soleil, de préférence.
Le regard est vif, souvent impertinent, et traque l’humain, qui, dans sa vérité profonde, ne s’embarrasse jamais de manichéisme : les allemands sont bien souvent des soldats fatigués et nostalgiques de leur terre natale, les français des opportunistes qui prennent la direction du vent.
Si le film décape le mythe d’une France unanimement résistante (on pourrait le considérer comme une réponse à la très orientée Bataille du Rail de Clément, et il fut d’ailleurs censuré à sa sortie), ce n’est pas non plus sa fonction première. Prenant son temps (alors qu’il ne dure qu’1h 22) dans l’exploration de moments suspendus, c’est surtout un récit solaire qui tente de faire cohabiter la paix avec une guerre qui refuse pour le moment de partir. La longue scène de repas, assez ambivalente, reprend la complexité du prologue. C’est évidemment un chapitre un peu incongru, qui peut contribuer à la caricature des gaulois amateurs de la sainte trinité du plaisir, la nourriture, le vin et la chair. Mais c’est surtout un éloge de la liesse collective et des jours heureux, reprenant très clairement la beauté d’Une Partie de Campagne de Renoir revisitant Maupassant.
Les individus restent ce qu’ils sont, à savoir un peu médiocres, pleutres, et tout sauf des grands philosophes ; mais, précisément, par ce portrait, Dewever donne à voir la paix dans toute sa vérité, sans idéalisme, et accessible à tous… y compris au camp d’en face, pour qui on peut désormais avoir de l’empathie.
Mais l’espace ne se laisse pas influencer par ceux qui l’occupent : les camps restent en chiens de faïence, et le silence entre les deux camps sera le vecteur de la seule communication possible : après les malentendus, le retour de la mitraille. Parce que la guerre ne tient pas compte des élans les plus simples des êtres humains, mais les soumet à un code de l’honneur qui, la plupart du temps, les broie : des honneurs aux horreurs de la guerre, il n’y a qu’un pas.
(7.5/10)
Un grand merci à Kalopani pour la référence et le prêt.