"C'est pas très compliqué", aurait commenté le personnage de Pierre (Benjamin Lavernhe), héros autiste du film d'Eric Besnard, "Le Goût des merveilles" (2015) https://www.senscritique.com/film/Le_Gout_des_Merveilles/16647729 : il s'agit de tenir, face à la caméra de Béatrice Plumet, totalement immobile, pendant vingt minutes... Mais quels que soient les efforts de ses sujets (enfants, vieillards, acteurs, confrère cinéaste, anonymes...), la première partie du corps à se mettre involontairement en mouvement sera l'œil, ne serait-ce que pour ciller...
Œil pour œil... Œil contre œil... Ce phénomène questionne notre regardeuse... L'œil, comme ce qui supporterait le moins volontiers l'immobilité de la mort ? Et pour cause...
Se trouve longuement interrogée une taxidermiste. Jolie, bien vivante, la langue agréablement mâtinée d'accent espagnol. Pendant qu'elle dévêt de sa peau un petit hérisson albinos, la question de l'œil se retrouve bien vite au centre de son discours ; comme un aveu... L'œil, c'est la pierre d'achoppement, dans le travail des taxidermistes, ce qui ne saurait feindre la vie et révèle la mort de l'animal, à la différence de son pelage et de sa posture, qui peuvent paraître vivants, en mouvement. L'œil dit vrai, et sa fixité, sa perte d'éclat, ne sauraient mentir...
L'espace du questionnement qui environne la réalisatrice, présente par la voix off, s'agrandit : que fait-elle, à quoi joue-t-elle, lorsqu'elle demande à des êtres humains d'observer ainsi une immobilité cadavérique ? N'y aurait-il pas un lien avec l'hypnose, voire l'auto-hypnose...? Une hypnothérapeute et certains sujets eux-mêmes, interrogés, confirment : ralentissement de la respiration, du rythme cardiaque, de l'activité oculaire, impression d'un basculement en soi, ou au contraire d'une sortie de soi, d'un voyage, perte de la notion du temps...
Un adolescent, très finement, s'interroge sur le ressenti des spectateurs : seront-ils eux-mêmes hypnotisés par le spectacle de ces êtres hypnotisés...? De fait, dans l'une des petites salles de projection de Beaubourg, les premiers spectateurs du projet sont filmés, pendant qu'ils regardent, et leur fixité n'est pas loin de rejoindre celle qu'ils sont en train de contempler...
Le documentaire, en une petite heure, ouvre un abîme de questions, plonge dans l'iris d'un œil grand ouvert, traverse l'obscur, puis en émerge, détenteur d'une conviction : le rôle éminemment ambigu de l'œil, à la fois point névralgique et tache aveugle, puisqu'il ne peut se regarder lui-même sans passer par l'intermédiaire d'un miroir ou d'un autre objectif. Dès lors, que sera une "image parfaite" ? Restituant l'animation de la vie, ou l'inaltérabilité d'une Blanche-Neige endormie ?...