Souvent on voit des films européens, parfois avec des moyens différents des studios américains, qui arrivent dans nos salles qui pâtissent du fait de devoir passer à côté de productions beaucoup plus ambitieuses. Cette année c'était le cas de Maurice le chat fabuleux, film d'animation qui a eu le temps de trouver un public en festival à Gerardmer ou aux Utopiale de Nante et qui s'est révélé être une très belle surprise, et c'est aussi le cas pour Les Inséparables. Ce film, je l'attendais car c'était l'un des projets mis à l'honneur lors d'un article répertoriant 12 projets prometteurs lors des Cartoons Movies de Bordeaux, dont parmi eux des poids lourds qui ont rythmé l'année comme Four Souls of Coyote (Prix du jury à Annecy en 2023) ou encore Mars Express... Ouais bon, les seuls qui sont sorti et/ou que j'ai vu ont été des films que j'ai trouvé pourrit pour rester poli, et ça donne pas très envi de s'engager. Cependant il y a aussi le prochain Alberto Vasquez (dont son Unicorn Wars a fait sensation à Annecy ou à l’Étrange Festival), le prochain Sebastien Laudenbach (qui a su mettre tout le monde d'accord (ou presque) avec La Jeune Fille sans main et surtout Linda veut du poulet, lauréat du cristal du long métrage à Annecy 2023), le prochain film de Hugo de Faucompret (qui prolonge l'univers de son précédent court métrage Maman pleut des cordes qui était une très belle expérience)... et quoi qu'on puisse dire de la qualité des films qui arriveront (ou qui sont arrivés), ce sont des films qui sont extrêmement créatifs et qui transpirent d'une sensibilité nouvelle. Je n'ai malheureusement pas d'expérience marquante avec l'animation belge, la seule qui me vient en tête serait Le manoir magique par le même réalisateur (co-réalisé avec Ben Stassen qui reste à la production de Les Inséparables), et même si je lui reconnais des qualités, il est compliqué de juger le film face à ce qui sortait la même année, que ce soit aux Etats Unis qu'en France, et il serait se mentir que de dire que les Inséparables faisait figure de favori lorsqu'il a été annoncé en sélection officiel à Annecy 2023... et c'est maintenant que je dois dire la chose d'entré de jeu: Foncez voir Les Inséparables, c'est l'une des meilleurs surprise que vous pourrez avoir cette année.
Dès sa scène d'ouverture, le film dévoile ses grandes capacités de mises en scènes, ainsi que les possibilités de niveau de lecture que propose le long métrage (on y reviendra plus tard). Le réalisateur venant de la réalisation de films d'attractions (il a notamment réalisé le petit prince dans l'attraction 4D du Futuroscope), il a tout une fascination et une aisance autour des plans long, quasiment des plans séquences, qui mettent en avant le mouvement et invite à une immersion dans l'action. Le film est extrêmement généreux dans sa photographie, multipliant les scènes poétiques (notamment une sublime à base de marionnette qui tombe dans le vide qui rappelle des scènes comme dans Get out), et lésinant pas sur les méthodes d'animations pour dynamiser son récit. Passant du rêve à la réalité, de l'humour à des phases plus sombres, le film n'hésite pas à proposer des scènes variants de la 2D à la 3D, passant parfois d'une quête cartoon à une scène réaliste assez cru. Le tout est brillamment exécuté pour qu'il y ait une cohérence d'ensemble et que le résultat soit très appréciable faute d'être exceptionnel (on y reviendra plus tard). On ressent une volonté de faire référence au travaux passés, notamment la saga Bigfoot qu'on sent à travers certains dialogues et certains détails, qu'on retrouve même au scénario, qui confirme que ce film est personnel et qu'il y a un vrai regard d'auteur sur son sujet.
On suit la continuité thématiques des films de Jérémie Degruson à propos de la marginalité et du besoin de trouver sa place dans un monde de moins en moins sensible à l'émerveillement. Si le film a des airs de Toys Story et de Don Quichotte, c'est parce que les deux œuvres partagent deux thèmes importants pour son réalisateur qui, en créant un rapprochement entre les deux œuvres, trouve une approche nouvelle sur un sujet qui lui est important. Plus que Don Quichotte, c'est l’œuvre de Terry Gilliam qui est mis à l'honneur avec des références au Fisher King, des scènes de pure fantaisie comme dans L'homme qui tua Don Quichotte et sa scène du moulin, ou encore une certaine personnification des rêves et d'évasions du Le Baron de Münchhausen qui a surement été une source d'inspiration pour le personnage de Don. Le film parle de la rencontre de deux marginaux amenés à s'aider mutuellement, à la manière d'un Woody et Buzz, mais où on met l'accent sur la nécessité de sortir et de quitter sa zone de confort pour mieux s'épanouir, et trouver une nouvelle famille pour certains. Si l'on devait filer la métaphore jusqu'au bout, imaginez si Woody avait le caractère de Buzz, et recueille un Buzz (avec un caractère de Woody) à qui il aidera à exploiter son plein potentiel. Il en vient alors comme un transfert des enjeux, où les références se mélangent et se complètent afin de souligner une forme d'universalité à la nécessité d'aller vers l'autre, de quitter sa zone de confort... et de refuser un certain système en place.
De but en blanc, le film a l'air familiale et assez simple d'esprit, mais cela serait cacher tout une couche de lecture qui rend le film extrêmement beau et touchant. Si je vous ai parler brièvement de la carrière de Jérémie Debruson, ainsi que ces précédentes réalisations, c'est car il est important de les avoir à l'esprit pour pleinement apprécier un discours porté par le réalisateur qui donne toute la beauté du long métrage. A travers le personnage de DJ Doggy Dog, le réalisateur se lance dans un véritable voyage introspectif où il évoque des préoccupations intimes, des moments de doutes humains et artistiques, ainsi qu'une certaine vision de l'animation actuel. Celui-ci est caractérisé par l'abandon et le rejet, à la manière du chat Tonnerre dans son premier long métrage, ainsi qu'à la nécessité de trouver une famille. Cependant, contrairement au chat Tonnerre qui chercher une famille pour commencer une vie qu'il n'a jamais vraiment commencer, DJ Doggy cherche une famille pour recommencer sa vie. C'est grâce à Don, marionnette qui cherche à retrouver une vie meilleur, qu'il trouvera une manière de quitter sa zone de confort et s'affirmer de lui même. On a tout une réflexion sur le besoin de revenir à un art plus humain et spontané, notamment avec toute la backstory de Don et de sa tache sur le nez (qu'on ne nous montrera pas d'avantage mais qui est assez visible pour qu'on la voit d'entré de jeu et nous intrigue), ou encore à travers le personnage d'Alphonso qui se complet à rester dans un système cyclique... qui rappelle des choses nouvelles qu'on a beaucoup aimé découvrir récemment.
Ce n'est pas un hasard si la scène d'introduction cite explicitement Chat Potté 2 et son affrontement contre le géant, car je pense que Les inséparables partage le même constat vis-à-vis d'une industrie de l'animation qui ne prend plus assez de risque. Dès que l'auteur meurt, à l'image du marionnettiste ayant donné naissance à Don, succombant à une crise cardiaque, les clichés (parfois dégradant, à l'image de ceux qui touchent directement le personnage doublé par Ana Girardo) ainsi qu'un système cyclique se met en marche pour favoriser la productivité plus que la créativité. Cela serait un peu tirer sur la corde que d'affirmer ce qui suit, et je ne ferrais que supposer, mais est ce que c'est un hasard si les méchants du film sont des jeunes perdues qui volent pour l'argent, et qui apprennent à rêver et être terrifié par des marionnettes vivantes ? Je pense que non.
Pour ceux qui n'ont pas pu/voulu lire la parti spoiler, sachez que ce n'est pas un hasard si la scène d'intro du film rappelle des films récents aux thématiques parfois méta-textuelles, et qu'il s'autorise des incursions 2D dans une animation 3D, car elle est porteuse de sens. Cependant, on ne tombe pas dans une lecture faisant un copié/collé, on a une réelle appropriation personnelle de ces thématiques. L'évolution du personnage de Doggy Dog, par exemple, qui doit apprendre à ne plus se fier aux circuits qui l'alimente pour être ce qu'il est, et abandonner de suivre quelque chose qui dicte ce qu'il devrait être. Il n'est pas étonnant d'entendre que le réalisateur se reconnait en ce personnage et entend beaucoup de monde lui dire qu'il est Dj Doggy Dog car, d'une certaine manière, c'est surement le cas. Un artiste qui a longtemps été contraint de se conformer à un idéal de réalisation, qui a enfin la possibilité d'exprimer sa créativité grâce à une rencontre qui lui permettra de ressortir son plein potentiel. Plus qu'un coup de gueule face à un système qui ne permet pas aux créatifs de s'exprimer, le film devient une lettre d'amour à la création venant de quelqu'un ayant trouvé sa voie artistique. Les inséparables est le Don de Jérémie Degruson, et il lui rend hommage de la meilleur des façon.
Maintenant, le film n'est pas exempte de défauts, et l'un des plus évident reste sa modestie. Je disais en introduction que les moyens sont "différents", pour ne pas dire moindre ou insuffisant, c'est parce que je ne veux pas condamner le film à ne pas être bon parce qu'il n'a pas eu le moyen de l'être. Malheureusement, surtout lorsque l'on voit les créations actuels, il est difficile de fermer les yeux sur les parties en 2D qui sont, sert créatives, mais bien moins efficaces que d'autres productions plus récentes. Enfin, et là je peux moins fermer les yeux là dessus, les phases musicales avec Dj Doggy Dog manquent en finesse. Si celles-ci sont toutes pertinentes dans le récit (ce qui n'est pas le cas des 3/4 des films avec des chansons, même parfois les meilleurs), elles sont parfois assez maladroites et pas assez efficace dans leurs exécutions. Je pense notamment à une scène avec DJ Doggy Dog à Central Park qui, après une scène d'entrainement extrêmement touchante dans les égouts (pour moi une des plus belles scènes du film), aurait pu être beaucoup plus extravagante et extrême (sans doute qu'en assumant le côté exubérant, cela aurait mieux fonctionné), ou encore l'épilogue de fin qui alourdi un peu l'ensemble car peu être trop long et pas assez efficace.
Au final, Les inséparables se révèle être une énorme surprise, que je n'avais vraiment pas vu venir, et qui se révèle être l'un des plus beaux films de l'année. Toujours dans une sincérité authentique et une générosité indéniable, le film arrive à nous transporter et nous fasciner tant ce qu'il propose est vrai et personnel.
16,5/20
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