Premier film de Jean Delannoy après son grand prix du festival de Cannes pour "La symphonie pastorale". C'est tout naturellement que "Les jeux sont faits" a été également sélectionné pour défendre le drapeau tricolore. Mais il semble que ce film là n'a pas eu de prix.
C'est un roman de Jean-Paul Sartre, adapté par l'auteur et Jacques-Laurent Bost. La photo est de Christian Matras et la musique de Georges Auric, deux grands habitués du cinéma "qualité France". Le scénario est loin d'être inintéressant, on est très intrigué par le début du film, on en attend beaucoup. Cette histoire de morts revenant à la vie, de découverte du monde des morts, c'est assez inattendu. Mais on déchante vite.
Le couple vedette Marcello Pagliero/ Micheline Presle n'est pas particulièrement mémorable. Ce sont deux grands comédiens mais Delannoy n'en a pas tiré grand chose de d'inoubliable. Ils sont justes, Delannoy a un sens aiguisé de la direction d'acteur, mais si on attend des étincelles de cette association on sera assez déçu. Micheline Presle est rayonnante, elle a une intelligence du dialogue extraordinnaire. Pagliero est un peu moins marquant mais s'en tire honnorablement. Par contre on ne perçoit aucune d'alchimie, aucune étincelle de passion (ne parlons pas d'amour) dans les regards qu'ils échangent. On apperçoit quelques trognes sympathiques (Mouloudji dans un rôle de traître, Robert Dalban, Edmond Beauchamps, Danièle Delorme).
En fait c'est un peu le même problème que "L'éternel retour", Jean Delannoy n'est pas fait pour ce type de sujet. Son talent est ailleurs. Très rapidemment le film cesse d'explorer son postulat fantaisiste et tombe dans la romance basique, avec des échanges pompeux et larmoyants, péché mignon d'une partie du cinéma français de cette époque. Le réalisme psychologique essai d'atteindre les sommets qu'avait atteint son prédécédeur, le réalisme poétique, dans les années 30 avec le couple Gabin/Morgan, mais n'y parvient pas.
Sartre essaie de faire du Cocteau et se plante un peu. On ne croit pas beaucoup à ce qu'on voit, à ce couple qui est sensé s'aimer sans le savoir, pas plus qu'on ne croit à cette dictature d'opérette que combattent des résistants dirigés par Pagliero. Globalement, l'incrustation de paralèlles politiques avec la réalité de ce lendemain de seconde guerre mondiale est assez lourde. A aucun moment ce régime fasciste avec son tyran fanfaron de boulevard n'est crédible. Pire, ce n'est même pas drôle, où est l'intérêt ? C'est juste informe. Et puis à la fin ils ne s'aiment pas, et ils meurent pour de bon. Pessimisme presque syndical dans le réalisme psychologique.
Jean Delannoy filme tout ça avec une maîtrise indéniable, mais ce n'est rien d'autre qu'une maîtrise de l'académisme. Il n'y a que du savoir faire, de la démonstration d'idées prétendument poétiques, mais c'est bien trop avare en émotion. On a finalement l'impression que ce qui devait être l'un des grands films français ambitieux de 1947 n'est ambitieux que dans son sujet.
C'est un peu comme si les auteurs faisaient une faveur au cinéma, en lui accordant du Sartre avec condescendance, tel à un mendiant. Comme si c'était un art uniquement tributaire de la littérature, qui n'aurai pas sa propre noblesse.