Madame rêve d'atomiseurs, de cylindres si longs ...
Le rejet critique, souvent sévère, et même l’oubli qui touchent aujourd’hui les Jours et les nuits de China Blue, me semblent assez injustes.
Certes le film a beaucoup vieilli – en grande partie à cause de son thème, et de son intention la plus manifeste : la volonté de provocation, propre à Ken Russell certes, mais strictement réduite ici au seul domaine sexuel. On pourrait même avoir parfois l’impression que le scénario, l’histoire familiale et sociale parallèle qui va finir par croiser celle de l’héroïne, assez simpliste, n’est là que pour « justifier » que le film n’est pas seulement pornographique. De même pour l’emballage esthétique, assez kitsch comme toujours …
Certes on peut trouver que Ken Russell a commencé un long déclin. Cela dit, plus tard et sur un thème très semblable (qui reprendra même certaines scènes de China Blue), Whore sera une réelle réussite, sans doute parce que Russell aura cette fois choisi de privilégier la provocation par le langage, par les mots – qui est bien moins soumise aux aléas du temps et à l’évolution des mœurs.
On peut même avoir parfois l’impression que Ken Russell court un peu après son grand style, celui qu’il déployait dans les Diables, dans Mahler ou dans Music Lovers, avec des scènes inouïes de rêve et de fantasmes. Ici elles sont rares et assez ratées – le mariage, avec colombes, piscine, cage, cercueils et squelettes ou la scène d’amour esthétisante et longue, filmée en ombres chinoises, ou encore les représentations de toiles célèbres et érotiques (des estampes japonaises à Aubrey Beardsley) ou enfin le fatras des sex toys du prêtre fou d’où émergera un godemiché massif, métallique et cylindrique, à l’extrémité courbée et très pointue. Mais les scènes nocturnes, quand on sait que la menace rôde, marquée par les lignes qui raturent les personnages, restent assez réussies.
On peut sans doute trouver que le film manque de rythme, que la progression dramatique marquée par la présence de plus en plus prégnante de l’exorciste démoniaque, n’est pas suffisamment mise en valeur. Ou que la musique de Rick Wakeman (très en vogue à l’époque) est assez insupportable …
Mais il reste au moins trois raisons fortes de revoir et d’apprécier China Blue :
• Le thème même, très caractéristique de l’œuvre et des ambitions de Ken Russel : le couple et le sexe, le sexe et le sentiment, le sexe et la morale, et leur impact finalement excessif et tragique – incarnés ici par un homme interdit de sexe dans son couple officiel, à force d’usure domestique, et par une femme au contraire soumise aux seules pulsions sexuelles et s’interdisant toute autre forme d’investissement (pour des raisons qui ne seront d’ailleurs jamais explicitées). On s’aperçoit alors que la plongée dans le stupre, dans le sexe absolu sans autre perspective, est une autre manière de censure, d’interdiction, d’auto-mutilation, et au bout du compte de morale inversée. Au bout du compte cette approche-là ne manque pas d’originalité - on est bien chez Ken Russell.
• L’idée d’avoir confié l’incarnation de cette morale folle à Anthony Perkins, pour une nouvelle déclinaison de son personnage culte de Psychose, qui aura créé son propre mythe tout en l’y enfermant sans échappatoire possible, me semble excellente – même si elle a pu être controversée. Russell et Perkins composent ainsi un requiem funèbre et ultime à la mémoire de Norman Bates. Le twist final est sans doute grandguignolesque (mais le personnage de Norman Bates tient largement du grand guignol) mais assurément réussi.
• L’interprétation, mieux la présence magistrale de Kathleen Turner – grande actrice chez qui le corps (et même bien plus tard l’âge et le poids venant) est partie essentielle et constante de l’appropriation du rôle. Elle est ici, dans un double rôle, Joanna Crane et China Blue, son double nocturne et damnée. Et même si la face diurne n’occupe en réalité qu’une place très secondaire, quelques scènes tout en maîtrise suffisent à Kathleen Turner pour poser sa dualité irréductible, son déchirement (dont je ne suis pas sûr que le meurtre de son double maléfique ou la rencontre avec un jeune homme fort peu charismatique suffiront à la libérer.)
On replonge alors, dans ces nuits glauques et bleu pétrole, on s’y enfonce derrière un casque de cheveux blonds, sur la trace flottante d’une robe bleue …
Ces nuits de Chine, si peu câlines …