Parmi les petits plaisirs de cinéphage il en est un rare et grisant qui me tient particulièrement à cœur et qui est celui de découvrir un film qui simplement ne ressemble à aucun autre. Loin de moi l’idée de jouer au cinéphile blasé, mais à force de bouffer de la pellicule on finit parfois par avoir comme un sentiment d’éternel déjà vu face à une très grosse majorité des films que l'on regarde. C'est certes chaque fois différent mais c'est trop souvent un petit peu pareil aussi. Alors quand on pose ses yeux devant un film qui ressemble à un ovni, on a forcement envie de faire partager sa découverte et de la défendre avec passion...... c'est pour cela que j'ai saute sur mon clavier pour rédiger une déclaration d'amour (donc absolument pas objective) à une petite merveille de cinéma made in complètement barré , à savoir Les Larmes du Tigre Noir de Wisit Sasanatieng.

J'enrage de n'avoir découvert ce film qu'assez tardivement et surtout de ne pas l'avoir vu en salles lors de sa sortie mais simplement en DVD. Les Larmes du Tigre Noir est en effet sorti en salles le 25 décembre 2002 ( un putain de cadeau de noël ) après avoir été quelques mois auparavant le tout premier film Thaïlandais en sélection au Festival de Cannes. L'occasion pour une fois de saluer au passage Luc Besson puisque c'est lui qui par l’intermédiaire d'Europacorp a permis au film d’être distribué en France. Ce n'est peut être qu'une toute petite ligne de grâce au cœur d'un CV rempli d'erreurs de parcours mais c'est intéressant de ne pas l'oublie non plus.

L'histoire de Les Larmes du Tigre Noir tient autant du mélodrame romantique flamboyant que du roman photo à l'eau de rose. Le film nous raconte le destin d'un amour forcement compliqué à défaut d’être tout à fait impossible. Rumpoey l’héroïne ( superbe Stella Malucchi ) est une jeune fille issue de la bourgeoisie et Dum ( Chartchai Ngamsam ) quand à lui est un garçon modeste venant d'une famille de paysans, cela ne va pourtant pas empêcher les deux adolescents d’ébaucher les contours d'une histoire d'amour au mépris de leur différence de rang. Évidement le sort va séparer les deux amoureux qui ne se retrouveront que bien des années plus tard alors qu'ils sont devenus des adultes. Lui est désormais le fameux "Tigre noir" ,un brigand sévissant dans une horde de bandits à la solde de Fai un improbable chef maffieux. Quand à Rumpoey, elle doit se marier à contre cœur avec le chef de la police, lequel bien évidement à jurer la mort de La bande de Fai et par conséquent du Tigre noir.

Le paradoxe le plus extrême du film Les Larmes du Tigre Noir c'est d’être à la fois un film complètement original tout en faisant constamment penser à plein d'autres films. On pourrait presque rapprocher un peu la démarche de Wisit Sasanatieng vis à vis de son film à celle de Quentin Tarantino pour Kill Bill carLes Larmes du Tigre Noir est un œuvre ultra référentielle par laquelle le réalisateur rend un hommage vibrant et sincère à tout un pan du cinéma qui a visiblement imprégné à jamais sa rétine de gamin. La profonde magie du film réside donc en grande partie dans le fait qu'il aborde différents genres cinématographiques parfois diamétralement opposés tout en gardant une vraie cohérence interne. Les Larmes du Tigre Noir est un mélange aussi détonant qu’étonnant sur une trame scénaristique de pur mélodrame. Et sur la colonne vertébrale de cette histoire d'amour qui oscille constamment entre le roman photo à la con et la tragédie profonde et bouleversante viennent se greffer des éléments de toutes sortes. Les Larmes du Tigre Noir est aussi un western avec des cow-boys dandy qui se battent en duel comme dans un film de Sergio Leone, un film d'action et d'aventures avec des combats sanglants ou ça tire dans tous les sens quand ça ne se démastique pas carrément au bazooka, mais c'est aussi un film noir avec son lot de trahisons entre gangster et de lutte pour accéder au pouvoir. Vous en voulez encore ? Le film est aussi une comédie surréaliste avec un cow-boy nain chevauchant un poney et des décalages parodiques, mais également une œuvre profondément onirique avec des décors sublimement kitsch et colorées. Au détour de quelques plans on pense même au cinéma fantastique de la Hammer, quand la violence ne tombe pas carrément dans des excès ouvertement gore. On pourra aussi bien sûr rapprocher le film des comédies musicales made in Bollywood pour son cote rétro-kitsch et l'utilisation constante de chansons et de musiques. Bon nombres de références échappent forcement à notre regard puisque Wisit Sasanatieng rend avant tout hommage au cinéma populaire Thailandais d'avant guerre lequel est loin d’être très connu chez nous.

L'autre particularité du film c'est évidement son aspect purement visuel et sa patine graphique absolument unique. Les Larmes du Tigre Noir est un film en couleurs et c'est rien de le dire tant elles explosent la rétine. Il ne faut pas chercher le moindre réalisme dans l'univers visuel du film de Sasanatieng car chez lui les costumes, les décors, les paysages se parent de couleurs irréelles qui sont parfois vives, brutes et primaires et d'autres fois délavées, pastels et douces. Le réalisateur revendique l'aspect purement artificiel du cinéma et lorsque le héros joue de l'harmonica assis contre un arbre le soleil qui brille derrière lui est en fait une immense peinture entre l’expressionnisme flamboyant d'un Van Gogh et le décor naïf d'une pièce de théâtre enfantine. Autre exemple, la maison dans laquelle vit Rumpoey est une immense bâtisse rose bonbon avec des fenêtres vertes pistache....... et tout le film baigne comme cela dans une douceur surréaliste et dans la naïveté. Mais cette esthétique particulière n'est pas non plus totalement gratuite ou tape à l’œil puisqu'elle donne souvent au film une véritable dimension symbolique. L'aspect pastel presque marshmallow des roses et des verts renvoient à la douceur un peu "gentillette" de cette histoire amour ( du moins lorsque les deux héros sont adolescent) tout en contrastant avec la violence des sentiments qu'elle va finir par exacerber. La force de la romance entre Rumpoey et Dum allias Tigre noir explose précisément car elle détonne d'un coup avec la douceur du cadre dans lequel elle se déroule. C'est comme tirer un trait de crayon noir sur une feuille déjà sombre, il restera quasi invisible puis tirer ce même trait sur une feuille rose pâle et d'un coup il vous explosera à la gueule. Il y-a une autre scène absolument géniale durant laquelle Wisit Sasanatieng utilise à merveille la couleur. Dans cette scene Rumpoey et Dum alors encore adolescent vogue paisiblement sur une rivière qui serpente entre les herbes vertes, ils sont venus y ramasser des fleurs (roses évidement). Ils croisent alors trois adolescents qui provoquent Dum , s'en suit alors une altercation durant laquelle le jeune garçon est blessé au front alors que son amie bascule par dessus bord et tombe dans la rivière. Évidement Dum plonge pour tenter de sauver Rumpoey , comme la blessure de son front saigne l'eau prend doucement la coloration du sang jusqu’à devenir un immense cordon rouge vif serpentant entre deux rives vertes. Ce n'est pas ici un simple effet de style, ce n'est pas juste pour faire du beau ; car cette épisode marque précisément le point d'encrage de la passion entre les deux jeunes gens , la bluette va à cet instant devenir une passion de chaire de larmes et de sang et la romance un peu naïve qui unissait jusque là les deux adolescents va tout d'un coup devenir organique. Ce rouge vif c'est tout à la fois le feux de la passion qui roule dans les veines et le trait d'union qui va désormais unir les deux personnages jusque dans le sang. C'est pas simplement beau parce que ça flatte l’œil , c'est superbe parce-que ça sublime les sentiments.

La dernière chose qui fait que Les Larmes du Tigre Noir est définitivement un film à part c'est un refus quasi systématique de la nuance et de la finesse au profit d'une délectation sans bornes pour le too much. Les personnages par exemple ne sont que des stéréotype définit par deux ou trois gros traits de caractère. Ainsi Rumpoey l'amoureuse tragique et contrariée passe les 3/4 du film à pleurer à chaude larmes, Dum le héros taciturne traverse tout le métrage avec quasiment une seule expression sur son visage, quand aux méchants ils grimacent, froncent du sourcil et rigolent très très fort à gorge déployée comme une parodie à la Austin Powers. Difficile donc de juger de la performance des comédiens dans la mesure ou ils n'ont pas grand chose à défendre , ils se contentent le plus souvent d’être des figures de bande dessine ou de roman photo, lesquelles n'ont par définition aucun relief. Arborant des poses ridicules en déclamant parfois leur texte comme au théâtre les personnages n'ont pas la prétention d'être tout à fait réalistes. Le miracle c'est que loin d’être ridicule tout cela finit par sonner terriblement juste à force de cohérence entre le fond et la forme. Plus l'aspect extérieur et immédiatement visible du film semble artificiel plus il renforce la puissance émotionnelle des sentiments que véhicule l'histoire. En y regardant vite fait Les Larmes du Tigre Noir pourrait donc ressembler à une parodie de par l'aspect caricaturale de ses personnages, la folie douce de certaines situations et son cote dernièrement kitchissime. Mais ce serait faire abstraction que le cœur même du film réside dans une histoire d'amour qui elle s’avère être à l'exact opposée du visuel artificiel et rococo du film à savoir, direct, profonde, réaliste, intense et au final terriblement émouvante. Wisit Sasanatieng semble tout simplement prendre un plaisir quasi enfantin à jouer des images abordant toute ses scènes avec une naïveté frontale qui force le respect. Dans le romantisme un peu sirupeux par exemple il nous offre une scène de roucoulade sur la plage durant laquelle les deux amoureux discutent sans même ouvrir la bouche...... Et c'est pareil pour la violence , elle est excessive , démesurée avec des geysers de sang lors des impacts de balles et mêmes quelques plans complètement gore de cervelles éclatée, de bras arrachés ou de mâchoire explosée par une balle. C'est juste du cinéma de quartier , du cinéma qui se revendique de l'imaginaire plutôt que du réel, c'est du roman photo croisé avec de la bande dessinée , c'est du "bigger than life" ....... C'est peut être pas du grand cinématographe mais c'est du putain de cinoche.

Les Larmes du Tigre Noir n'est certainement pas un diamant rutilant qui brille de milles facettes. C'est juste un petit bijou de pacotille, un collier de bombecs comme ceux qu'on se mettait autour du cou étant gamin . C'est plein de couleurs pastels, ça se délecte avec gourmandise, ça tient plus de la naïveté de l'enfance que de la raison des adultes. Et puis quand on a finit ça laisse un goût acidulé dans la bouche et le regret que cela soit déjà terminé. Alors pour peu que quand vous relâchiez l’élastique du collier il vienne vous fouetter le cou avec violence il se pourrait bien qu'il vous laisse du sucre dans la gorge et aussi une petite larme au coin de l’œil, exactement comme le film.

freddyK
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le 18 août 2022

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