Un de ces "coups de cœur" qui témoignent principalement une incroyable stupéfaction face à un contenu qui semble unique en son genre. "Les Larmes du tigre noir", c'est un pastiche thaïlandais des mélodrames 60s (entre autres), réalisé en 2000, n'hésitant pas à croiser tout ce qui se fait en termes de mauvais goût. Romances bidons, dialogues à mourir de rire, gunfights bien gores dignes d'une bonne grosse série B, le tout saupoudré de références évidentes au cinéma international comme le western spaghetti. Le cocktail est explosif, le sang gicle et ça tache bien comme il faut.
Mais ce qui choque instantanément, c'est l'esthétique qui accroche l'œil et ne le lâche pas d'une semelle : les couleurs sont à la fois pastel et étincelantes (effet obtenu par colorisation a posteriori à partir d'un tournage noir et blanc, ai-je pu lire), ça brille comme les pires choses en toc, et de nombreuses séquences sont d'un carton pâte revendiqué tout à fait sidérant. L'effet de sidération, c'est d'ailleurs un peu la charpente du film, ce qui maintient une sorte d'intérêt pendant près de deux heures. Tout est complètement insensé, et les coutures très classiques du mélo forment un contraste (que je n'avais jamais ressenti de la sorte) avec à peu près tout le reste du bon gros bis qui tache. Le film joue d'ailleurs assez bien avec les limites de l'insupportable... Enfin je crois. On rit beaucoup en tous cas.
Une histoire thaïlandaise traditionnelle, semble-t-il, transposée dans un univers totalement irrél et étonnamment contemporain : Wisit Sasanatieng fait du neuf avec du vieux dans une démarche qu'il serait difficile de ne pas qualifier d'originale. On nage en plein surréalisme, et il y a une sorte de surenchère incessante en termes de mécanismes narratifs (les flashbacks qui éclosent de manière parfaitement aléatoire), de changements de ton (on passe de la parodie de mélo à la parodie de film d'action burné sans transition), de stéréotypes éhontés (les personnages sont de magnifiques coquilles vides en surjeu permanent), de déchirement des chairs (grenades à foison, grosse sulfateuse ou tir par ricochets en replay) et de délires esthétiques qu'il devient impossible de ne pas éprouver une certaine sympathie à l'égard de cet ovni aussi naïf que, j'ose le mot, poétique.
[AB #200]