Un très bon représentant de la méthode Cottafavi qui s'attaque à un épisode connu de l'histoire romaine qu'il fait doucement dévier vers le mélodrame féminin.
La première partie est centrée Gaius Octavius, le général qui se fait passer pour grec, avec une approche légère et humoristique entre bagarres de taverne, insouciance des héros, entraînement de gladiateurs et numéro de danse sensuel. La seconde se fait plus dramatique une fois que Cléopâtre fait son apparition (ou plutôt révèle sa véritable identité) et que les enjeux politiques semblent condamner les personnages. Ceux-ci semblent totalement prisonnier de leur rôle, volontairement ou non, et doivent donc se confronter à leur responsabilité après avoir essayé de les fuir : Marc-Antoine est rattrapé par la guerre, Octavius doit gérer un jeune esclave acheté et doit dissocier son amitié envers Marc-Antoine et les ordres qu'on lui a donné, Auguste est obsédé par ce que l'Histoire va garder de lui et Cléopâtre s'évade régulièrement de sa tour d'Ivoire pour se faire passer pour une danseuse.
La dramaturgie et son évolution est particulièrement bien écrite et fluide pour un glissement des genres subtil qui semble vouloir embarquer le spectateur à son insu vers quelque chose de plus intime et tragique. Il y a vraiment des séquences surprenantes dans la seconde moitié qui font preuve d'une réelle audace et témoigne d'un désir d'élévation. Mort d'un enfant, conscience tragique du destin, impuissance, sens inéluctable de l'histoire. Le film se permet même le luxe de ne pas montrer la mort de Cléopâtre et Marc-Antoine comme si nous n'en étions pas digne !
C'est tout à l'honneur de Cottafavi d'avoir imposer sa sensibilité à un projet de ce type. Il bénéficie pour l'occasion d'un budget plus confortable pour une reconstitution agréable à l’œil (bataille, figuration, décor) même si on sent encore beaucoup de débrouille et de système D plus ou moins discret (Alexandrie réduite à 3 rues et une taverne, tournage en Espagne par forcément réaliste, casting inégal...).
Ce qui ne gâche rien c'est que Cottafavi a un bon oeil pour le scope et son cadrage est assez sophistiqué.
Après, et sans parler du casting et de la reconstitution, ça n'a pas non plus l'intelligence, la beauté et la force du Mankiewicz mais ça dure 2 fois moins longtemps aussi. Par contre, c'est à des kilomètres au dessus de Serpent of the Nile de William Castle.