Les films des années 1950 de Kaneto Shindō n'ont décidément pas grand-chose à voir avec ceux de la décennie suivante (pour le meilleur, comme "Onibaba", "L'Île nue" ou "Kuroneko") ou encore suivante (les 70s n'auront pas été très inspirantes). C'est un cinéma majoritairement tourné vers son actualité historique, influencé par les conditions de vie dans le Japon d'après-guerre qui ne paraissent pas particulièrement enviable. Il y a d'ailleurs un petit côté néoréalisme italien dans l'attachement à suivre le quotidien des laissés-pour-compte dans toute sa dimension prosaïque, rempli de misère et de galères. "Ôkami" s'engage dans cette veine avec une tonalité fataliste ne laissant pas vraiment de place à l'espoir pour au moins deux raisons. D'abord, le récit est placé sous le signe d'un flashback faisant suite à l'arrestation de diverses personnes après le braquage un camion assurant le transport d'argent postal — l'issue tragique est donc connue dès les premières minutes. Ensuite, les protagonistes sont immédiatement montrés comme broyés par la conjoncture économique, contraints d'accepter des contrats minables (les fameux boulots merdiques qu'on trouve en traversant la rue probablement), en l'occurrence des vendeurs d'assurance-vie à qui on a fixé des objectifs de vente inatteignables dans le contexte national morose.


Autant dire que c'est le désespoir qui règne en maître ici, et dans ces conditions de survie il semble inévitable que les plus malchanceux en arrivent à des choix dramatiques pour subvenir aux besoins vitaux du foyer. Une dizaine d'années après la fin de la guerre et le début de la ruine du pays, ce n'est plus la bombe qui constitue la principale menace mais le licenciement, et plus généralement la précarité des conditions de travail. Il y a les veuves de guerre élevant seules leurs enfants, les artistes qui ne trouvent plus aucun emploi, les ouvriers devenus handicapés suite à une mutilation à l'usine, les licenciés pour activité syndicale, et enfin les mariés malheureux qui n'arrivent pas à divorcer. Des déshérités qui se transformeront en loups pour échapper à la mort, à défaut de se suicider, dans la toile de fond asphyxiante d'un pays exsangue. Avec l'image initiale de la larve d'insecte en train de se faire dévorer par des fourmis, à forte valeur prophétique, tout comme celle des scorpions jetés dans une fourmilière puis incendiés dans "La Horde sauvage".

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le 26 sept. 2024

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Morrinson

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