Les souvenirs d'enfance sont sans doute les plus beaux et les plus doux. Et de mes souvenirs de cette période bénie, Les Maîtres du Temps fait partie intégrante. Oui, j'étais petit et je n'avais sans doute pas tout compris. Mais l'oeuvre a trouvé sa voie en moi, s'y est ancrée pour mieux résonner et pour, à chaque diffusion, faire remonter à la surface de ma mémoire des sensations, des impressions, des images. et une émotion qui me prend à chaque fois par surprise.
Les Maîtres du Temps, c'est René Laloux, c'est Moebius, c'est la science fiction fulgurante écrite par un dentiste qui a trouvé son nom de plume dans un numéro de Science et Vie, piqué à un savant russe.
Les Maîtres du Temps, c'est aussi une ambition de l'animation française impossible à financer, déjà, et qui verra donc le jour en Hongrie, au sein d'un studio aux méthodes de travail "exotiques", capable du meilleur comme du pire, soufflant le chaud et le froid. Faisant trépigner et s'arracher les cheveux de Laloux, de Giraud et de leurs producteurs.
Mais Les Maîtres du Temps se nourrit, finalement, de ses manques, de ses carences et de ses maladresses. En en tirant un charme étrange et pénétrant. Si certaines séquences sont largement en-deça des critères qualitatifs attendus, si l'on sent que, faute de temps et d'argent, certaines scènes n'ont pu passer l'étape du storyboard, sans pouvoir prendre vie à l'écran, d'autres passages côtoient le sublime, animées par la superbe épure méticuleuse de Moebius. Animées par un esprit à mi-chemin entre les Humanoïdes Associés et Métal Hurlant.
Et puis, Les Maîtres du Temps, c'est un dessin animé multiple, dont l'identité première de film pour enfants est plus d'une fois questionnée, relativisée. Oui, ce dont beaucoup se souviennent, ce sont les facéties de ces deux petits gnomes, Jas et Yula, leurs réflexions innocentes et pures, ponctuées de la gestuelle typique des sourds-muets et du regard distancié qu'ils portent sur le monde des humains. Ce dont beaucoup se souviennent aussi, c'est le caractère enfantin des péripéties et des rencontres du petit Piel, prétexte à quelques apparitions d'un bestiaire original et trognon, à quelques touches d'humour simple.
Mais cet aspect jeune public cède souvent la place au pas lent et contemplatif adopté par la narration de René Laloux. Tout comme aux aux métaphores dérangeantes et angoissantes du totalitarisme, illustré par de magnifiques anges immaculés mais sans visage, par une conscience collective molle et informe, boulimique et prédatrice.
Mais moi, ce que je garde en mémoire, ce sont mes larmes de petit garçon, qui n'avait sans doute pas tout compris, mais qui touchait d'un doigt inconscient à la fois la mélancolie et l'infinie tristesse de cet épilogue. En forme de paradoxe typique des canons de la science fiction littéraire, transcendé par les balbutiements de l'infographie 3D made in Imagina. Mais surtout par cette musique incarnant ce que je ressentais, et ressent toujours, plus de trente ans après, dans mon petit coeur triste et ému. Porté par cette voix de berceuse. Porté par ces quelques notes de synthétiseur profondes et vibrantes.
Un feeling étrange pour ce qui n'était censé être "qu'un" film pour enfants.
Behind_the_Mask, futur antérieur