Lâcheté et mensonges
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SPOILER
Impossible de noter le premier long-métrage de Ladj Ly sans en parler en amon.
Les Misérables est un film coup de poing voulant nous confronter à la réalité de la vie en banlieue. Confronter qui ? Les personnes déjà concernées ou ayant déjà eu des échos de ce qu'il s'y passe pourrons peut-être assimiler un message quant à la persécution que vivent les banlieusard.e.s au quotidien. Peut-être que ces personnes seront alors du côté de ces banlieusard.e.s qui font de leur mieux pour (sur)vivre... Mais à travers les yeux du reste de la population, qu'en sera-t-il ? On part du point de vue des policiers, on reste du point de vue des policiers. On voit Chris, alias « Cochon Rose » qui correspond au parfait flic de banlieue, tels qu'ils sont en réalité -mais ça, le film ne nous le dit pas. Puis il y a le petit nouveau qui prend le rôle de l'éternel bon flic... Et enfin le dernier, celui qui vient de banlieue et qui tire un coup de flashball dans la tête d'un gamin qu'ils interpellent pour avoir voler un lionceau et que ses potes tentent de sauver avant qu'il ne soit emmené au commissariat.
Alors une question me vient en tête, pourquoi est-ce le gamin qui vole tout le temps, qui fait plein de bêtises, que même son père renie, le « petit voyou » par excellence donc, qui se fait arrêter dans ce film ? Pourquoi, puisqu'il s'agissait, à la base, de la volonté du réalisateur, ne pas aller dans une réalité moins stéréotypée et plus vraie, en montrant simplement un gamin voulant fuir un contrôle de police qui lui fait peur comme cela se passe le plus souvent ? (cf. Zyed, Bouna) Pourquoi, d'ailleurs, est-ce le policier noir venant de banlieue qui tire le coup de flashball et pourquoi restons-nous du point de vue des policiers après que l’un d’entre eux ait tiré sur le jeune ? « Oh ! Il rentre pleurer chez sa Maman... Compatissons pour celui qui a failli tuer un enfant. » « Oh ! Heureusement que le bon flic est là pour passer à la pharmacie, quel amour ! Bon certes, il aurait pu l’emmener à l’hôpital, mais bon...c'est sympa quand même. »
Alors oui, l'idée est de montrer qu'il n'y a pas que du bon ou du mauvais chez les policiers et les banlieusard.e.s, mais la plupart des spectateur.ice.s voient quoi ? Des pauvres flics dépassés par la situation : des enfants agressifs, un milieu dangereux et trois petits policiers au milieu. Oui, Chris reste une personne détestable mais le film souligne rapidement qu'il s'agit de son cas à lui et que ce n'est pas généralisé chez tous les autres... C'est d'ailleurs explicité dès le début du film par la commissaire qui raconte bien au nouveau policier qu’il tombe dans une équipe particulièrement difficile...
En fait, j'ai l'impression que les spectateur.ice.s auront surtout de la compassion pour les policiers, du côté desquels est le point de vue du film, on ne voit pas spécialement ce que ressentent les jeunes qui subissent tout ça. Bon certes, parfois ils semblent un peu apeurés, notamment le propriétaire du drone, mais on les voit surtout voleurs au début, agressifs au milieu et violents à la fin.
Je pense que ce film est important à montrer tout de même, qu'il met en avant le pouvoir d'oppression qu'à la police en banlieue, mais je ne crois pas que cette interprétation sera celle de la majorité. Au mieux, ce sera un film sans parti pris des spectateur.ice.s qui verront des éléments positifs et négatifs des deux côtés.
Peut-être aurait-il été plus judicieux, plutôt que de terminer sur un si pesant suspens, de finir par montrer l'impunité des policiers dans cette affaire, la répression que se prendraient les banlieusard.e.s qui voudraient se révolter de ce coup de flashball, le désintérêt des médias pour la vidéo filmée par le drone (mais qui montreraient des "émeutes" de banlieues énervées et violentes qui brûlent tout -cf 2005), un enfant à jamais défiguré et un flic qui n'a pas la moindre sanction, car voilà la réalité des banlieues aujourd'hui, un désir de révolte, un sentiment d'injustice et la répression qui ne fait que s'accentuer sous couvert d'état d'urgence, et voilà à côté de quoi passe ce film selon moi.
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le 9 juil. 2019
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