Lâcheté et mensonges
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
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le 29 nov. 2019
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De l'ouverture du film sur les Champs Elysées tout de bleu/blanc/rouge vêtus pour fêter la victoire de la France en Coupe du monde à sa fermeture dans l'escalier d'une tour de Montfermeil, Ladj Li dessine une trajectoire certes radicale mais qui pose de véritables questions : comment on en arrive là ? Qu'est ce que ça veut dire être français ? Quelle place l'état occupe-t-il dans ces quartiers dont on entend dire qu'ils échappent à la République ? Avec une réponse sans concession.
De la fable réaliste au western urbain
Les Misérables affiche d'emblée sa dimension réaliste : vue plongeante sur un quartier et personnages issues de la "vie quotidienne" d'une cité du neuf-trois. Le scénario lui-même part d'un fait divers - un vol commis par un ado à la dérive - avant de s'orienter vers une fable politique. De fait, les cinq clans qui s'opposent dans cette histoire, les flics, les laïcs, les forains, les frères musulmans et les caïds sont représentés par des personnages archétypaux : le beauf, le candide, le boss... Le film s'apparente dès lors à un western avec sa rue principale, son saloon (le kebab), ses méchants cow-boys (les barbus et les dealers), son vrai faux maire (et son vrai faux adjoint) et son shérif (et ses deux acolytes). Tous ces hommes qui s'envoient du "enculé !" à tour de bras vont s'affronter dans une série de joutes viriles. Face à face des forains avec le Maire, excellent personnage au demeurant, caricature de l'homme politique local affublé d'un vrai faux adjoint, d'un vrai faux bureau et de vrais faux agents municipaux ; duel de poker menteur entre le flic et le frère musulman... Tous ces mâles alpha - car les femmes brillent par leur absence, cantonnées à des responsabilités domestiques (et économiques, une réalité de ces quartiers), finissent par se quereller non pas pour sauver l'ado en danger mais pour mettre la main sur un petit objet susceptible de leur conférer un pouvoir définitif sur les autres.
Lord of the flies vs lords of the lies
Lorsque tous ces adultes ont fini de se battre, alors que la situation semble s'être régularisée, que les prétendues questions d'honneur paraissent réglées, commence alors une ultime séquence qui renverse ce bel ordonnancement. Les ados du quartier, emmenés par leur chef, un jeune garçon défiguré par un tir de flashball, vont montrer en quelque sorte aux adultes irresponsables qui les encadrent de quel bois ils peuvent se chauffer. En jouant cartes sur tables avec leurs propres règles, des règles "no limit". Comme dans la fable cruelle de William Golding Sa Majesté des mouches, la violence devient la seule réponse possible. Sauf que contrairement à celle des adultes, cette violence est autrement plus radicale. Fini le cinéma, fini la comédie, semblent dire ces gosses, surnommés par leurs ainés les Microbes. Filant la métaphore, Ladj Ly met alors en scène une contamination foudroyante de toute la jeunesse du quartier, une septicémie généralisée et au final une mini révolution, celle suggérée par le titre du film. L'autorité de pacotille des adultes, faite d'esbroufe (le Maire), de compromissions (les flics), d'intimidation (les forains) ou de manipulation (les frères) vole en éclat. Et la responsabilité collective qui est la notre - nous parents, nous adultes, nous éducateurs... - nous est renvoyée en pleine face.
Un film non exempt de maladresses à certains égards mais néanmoins très intéressant.
7/10 ++
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Lost in translation ?, Ces westerns qui n'en sont pas mais..., Où sont les femmes ? et Films détournés à la sauce Covid
Créée
le 3 déc. 2019
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25 j'aime
5 commentaires
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