Fort du succès de son show télé, Jim Henson a décidé de montrer ses Muppets sur le grand écran. Et pour ce faire, il a mis les bouchées doubles tant dans la technique que dans la narration. Car qu’est ce film sinon le récit quasi-autobiographique d’un homme qui a marqué l’histoire des écrans contre toutes attentes, par une formule en laquelle personne ne croyait?
L’enjeu est clair dès l’introduction, mise en abyme méta, il faut réussir la transition de la petite lucarne aux salles obscures. Adieu donc le décor de théâtre miteux qui cadrait le show, et bonjour les extérieurs chatoyants, les plans complets qui montrent nos protagonistes en mouvement (la scène de Kermit à vélo, une prouesse qui fait toujours illusion), et la multiplication des marionnettes à l’écran.
The Muppet Movie, c’est la vie de saltimbanque. Celle de Kermit, issu d’un marais paumé, à qui l’on fait miroiter un auditorat à ses poussées créatrices. Un héros névrosé qui a le cœur sur la main, et qui amasse ainsi tous les paumés dysfonctionnels qu’il croise sur sa route pour les mener vers un rêve commun et former dans le mouvement un grande famille unie par la diversité et l’envie de performer (dans le réel, c'est Frank Oz, Dave Goelz, Jerry Nelson et Richard Hunt). Une galerie de personnages hétéroclites complètement barrée qui se complète par une panoplie de guest impressionnante (James Coburn, Elliot Gould, et Orson Welles, pour ne citer qu’eux).
L’oeuvre ne s’adresse d’ailleurs pas qu’aux enfants, les nombreux calembours, les comiques burlesques et absurdes, et les références bien senties (“Hare Krishna?”) témoignant de l'espièglerie de Henson qui sait titiller les zygomatiques de son public adulte. Quant aux différents muppets, ils possèdent tous des traits psychologiques qui dépassent le simple gimmick. Miss Piggy en est un exemple parlant, égomaniaque à tendance psychopathique qui ne s’adoucit que pour révéler un trouble obsessionnel envers notre grenouille démunie. Le décalage tonal est constant, jusque dans ces nombreuses chansons horriblement interprétées qui entrelacent humour, naïveté et sincérité d’une manière touchante et catchy.
Un transfert réussi donc, qui porte un message de persévérance joliment livré dans une des rares scènes sérieuses de cette joyeuse cacophonie, celle du désert. The Muppet Movie, alias Jim Henson's story, alias l’importance d’avoir des rêves, de les communiquer, et d’y croire coûte que coûte.