Il aura fallu le remake de Scorsese pour braquer les projecteurs sur ce petit film noir de loin supérieur à sa copie, et qui se focalise sur le face à face entre Gregory Peck et Robert Mitchum.
Ce dernier campe un ex détenu dont le plaisir pour les sévices et la terreur n’a d’égal que ceux qu’il mettait déjà en œuvre dans La Nuit du Chasseur. A la limite du cabotinage, il est le démon venu obscurcir la famille idéale, et d’une malignité à toute épreuve : il connait son droit, et sait toujours comment rester sur la crête.
Toute la première partie repose sur cette dynamique : faire sortir l’homme de loi de ses gonds, le faire basculer dans la passion que le criminel sait quant à lui contenir au profit de sa stratégie. Mitchum est le vice incarné, et son personnage est d’ailleurs un tour de force dans un film encore soumis au code Hays : tout passe par le langage (l’effroyable récit qu’il fait des sévices qu’il a fait subir à son ex-femme) et les regards torves, particulièrement sur la jeune fille dont il fait une victime de choix.
Face à lui, Peck, tout en raideur, expérimente le dilemme cornellien du passage à l’acte : prendra-t-il la revanche à son compte ? Chaque fois qu’il entreprend une action, son evil twin est là pour lui montrer ses failles : sa collusion avec la police, son recours à des actes hors la loi, son harcèlement…
Cet antagonisme riche et complexe entre un bourreau qui connait la loi et une victime contrainte à la bafouer hisse Les Nerfs à vif au-delà du simple polar. Tout, chez l’avocat, est laborieux, comme cette tentative de piège ne prend pas assez vite et ne se passe pas comme prévu. Les séquences d’angoisse sont d’une efficacité assez hitchcockienne (notamment dans cette poursuite dans l’école entièrement fondée sur l’emprisonnement et une vision labyrinthique de l’espace), et les débats idéologiques entre Peck et son épouse rehaussés par un travail sur la lumière presque expressionniste : des visages qui sortent de la pénombre pour signifier une lutte intérieure torturée, des espace exigus (la cuisine, le sous-sol, le bateau…)
Enfin, toute l’image est au service de la puissance de Mitchum, taillé comme un colosse et qui, au fur et à mesure de l’intrigue, s’animalise progressivement. L’accroissement des enjeux, de la violence et des mécanismes narratifs au profit de l’affrontement trouvent leur apogée par une longue séquence finale dans les marais, mémorable en tous points. Tapis dans ce qui prend tous les atours d’une jungle primitive, entièrement fondée sur les clairs obscurs de la nuit dans les feuilles et les surfaces aquatiques, les ennemis en viennent au corps à corps avec une bestialité fascinante ; à ce stade, tout retour en arrière, toute préservation des verrous sociétaux semble révolue... jusqu’à la décision finale de l’un d’entre eux.
Haletant, complexe, retors, Les Nerfs à vif synthétise à merveille tout ce qu’on peut attendre d’un film noir : jubilatoire dans sa mobilisation de la part bestiale chez l’individu, stimulant dans sa façon de traiter des dilemmes pouvant préserver son humanité.
(8.5/10)