Jake et Rose, nouvelle histoire de naufrage à l'horizon

On l'aura attendu le dernier film de Sam Mendes, le génial réalisateur derrière American Beauty et Les Sentiers de la perdition. Trois ans après Jarhead, il nous revient donc avec Les Noces rebelles, adaptation du roman culte Revolutionary Road de Richard Yates, publié en 1961.


On peut dire que Kate Winslet, épouse à la ville de Mendes, a eu du nez en poussant son mari à réaliser cette adaptation cinématographique, tant le sujet parait toujours autant d'actualité. Parce que les histoires d'amour ordinaires sont toutes extraordinaires, Les Noces rebelles nous racontent celle que vivent Frank et April Wheeler, une histoire pleine de désillusions et de cruauté. Parce que l'amour, c'est cela aussi. Cette espèce de lutte permanente contre le quotidien venant installer progressivement une routine pesante, inflexible, inéluctable. Sauf qu'ici, le couple tente de s'octroyer un second souffle, une renaissance qui s'apparentra bien vite à un rendez-vous manqué de deux âmes n'appartenant plus au même monde, deux coeurs qui ont trop saigné des blessures qu'ils se sont infligés à se croire liés. La faute en incombe au rêve américain que Mendes épingle avec brio, n'hésitant pas à faire passer la violence pyschologique des situations avant le drame plus intimiste auquel on aurait pu être confronté entre les mains d'un autre cinéaste.


Une mise en scène impeccable de bout en bout qui ne privilégie pas seulement la confrontation poignante de ces deux êtres, l'intensité du long métrage ne devant pas seulement aux séquences de pugilat mais plus que tout à la performance des deux acteurs incarnant les Wheeler. Leonardo DiCaprio en mari infidèle et perdu dans cette éternelle incompréhension de l'homme vis-à-vis de la femme, et la sublime Kate Winslet, remettant en question avec panache et profondeur le rôle des femmes dans une société brimée par de vaines certitudes.


Réduire les acteurs à ce duo mythique serait faire l'impasse sur la prodigieuse performance de Michael Shannon, déjà impressionnant dans Bug, qui devient ici le porte-parole des vérités masquées par les mensonges d'un couple à l'ombre de lui-même. Choix étonnant qui plus est de choisir un personnage psychatriquement instable pour enfoncer les portes ouvertes mais dont le manque de retenue face aux bienséances permet d'associer vigueur et vivacité à des évidences ignorées. Des propos acerbes qui permettent de donner un coup de fouet à une histoire dont on empêche l'essoufflement.


Tout n'est pas Rose (sauf Kate) cela dit, puisque on pourra regretter que Mendes ne fasse pas grand chose de l'époque dans laquelle l'action du film se situe, de même que certaines éllipses sont parfois malvenues dans ce tableau sombre où l'on aimerait voir se dessiner chaque ficelle narrative venant s'enrouler autour du cou des deux acteurs jusqu'à l'étouffement. Peut-être parce que le réalisateur n'y tient pas plus que cela, ou tout simplement parce que ses objectifs sont ailleurs, mais si le cinéma est affaire de point de vue, le nôtre pourrait parfois diverger de celui adopté dans ce long métrage. Et si l'émotion intérieure transcende les personnages, les explosions peinent parfois à témoigner de leur incompréhension mutuelle. Trop de mots pour des situations qui n'en exigent pas. Parce que l'amour, c'est aussi de longs silences, plus blessants que les longs discours.


En bref : Sam Mendes restitue à merveille le roman de Richard Yates et nous dresse un bien sombre portrait du rêve américain à travers un couple qui n'aurait jamais dû être. Certains choix discutables ne remettent pas en cause la qualité d'un long métrage qui tient sa force de son intériorité davantage que de ses déflagrations. Ou quand la frustration devient synonyme d'incompréhension. Poignant.

Kelemvor

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