"Je voulais juste redonner un sens à notre vie"
Revolutionary Road. L'histoire d'un couple lambda, qui pense comme tout un chacun être "exceptionnel", au-dessus de tout ça, et tente désespérément d'affronter l'insignifiance désespérante à laquelle il est voué. Ça me semble dingue de n'avoir jamais écrit plus tôt sur ce film, qui pourtant fait pleinement partie de mon ADN cinématographique, comme j'aime tant le dire. Mais il faut bien reconnaître qu'il est toujours plus compliqué de mettre des mots sur les œuvres qui nous touchent, plutôt que celles qui nous rebutent...
Et pour cause, tout me plaît dans ce film. A la fois le fond, la forme, mais aussi le message, si tant est qu'il y en ait un. Alors, pour faire les choses proprement, je vais déjà essayer de les re-situer un peu dans leur contexte.
"Revolutionary Road" est donc un film de Sam Mendes, qui reprend le couple phare de l'immense "Titanic", ainsi que Kathy Bates (mais si vous savez, la bourgeoise sympathique qui prête à DiCaprio le costume de son fils pour son dîner en première classe), pour en proposer une pseudo-suite dénuée de toute l'ingénuité et le romantisme propres à son prédécesseur. En outre, de façon un peu rapide, on peut avancer que le film se présente comme une réponse à la question : comment l'histoire aurait-elle pu évoluer si tous deux avaient survécu au naufrage ? L'intrigue se déroule d'ailleurs dans une banlieue new-yorkaise des années 1950, ce qui est certes un peu anachronique, mais tout de même : Sam Mendes cultive un certain second-degré, et j'apprécie ça.
D'un autre côté, et de façon tout à fait personnelle, "Revolutionary Road" m'a surtout beaucoup rappelé un autre film de Sam Mendes, face auquel il se pose comme un véritable contre-pied : j'ai nommé "American Beauty". Parce que si dans son premier film, le réalisateur filmait l’épanouissement individuel de son protagoniste et sa capacité à renouer avec ses valeurs , sa liberté ainsi que le sens de sa vie, dans le cas de "Revolutionary Road", l'issue est bien plus sombre.
On l'aura donc compris, la vision du couple de Sam Mendes n'est pas très optimiste.
Kate Winslet et Leonardo DiCaprio forment ainsi à l'écran un ménage blasé, qui a vu toutes ses belles ambitions s'éteindre les unes après les autres, avec les années, en les confinant dans un quotidien monotone, où chacun reproche insidieusement à l'autre la tournure qu'a pris leur existence. Ils s'étouffent, se brident, ne se supportent plus, jusqu'au jour où April (Kate Winslet) parvient à ré-insuffler de l'espoir dans leur vie en déterrant un vieux rêve commun : celui d'aller vivre à Paris.
D'abord réfractaire face à l'irréalisme de la nouvelle lubie de sa femme, Frank (DiCaprio donc), finit par se laisser gagner par les promesses de ce projet; tous deux convaincus qu'ils parviendront à concrétiser ailleurs, ensemble, ce qu'ils ne sont pas parvenu à devenir ici.
Et l'on est littéralement happé par les désirs de ces protagonistes, tellement humains. On les déteste mais on les apprécie dans le même temps : on les comprend, surtout. Cette femme au foyer aux sautes d'humeur effrayantes, épuisée nerveusement, ne vivant plus qu'à travers ses projections et prête à tous les sacrifices pour sortir de ce cadre, ce rôle dans lequel elle s'est enfermée. Et cet homme de l'autre côté, tellement grisé à l'idée d'entreprendre une vie différente de celle à laquelle il était prédestiné, mais également très vite rattrapé par les doutes, la peur de perdre son confort douillet au sein de l"hopeless emptiness" (insignifiance désespérante), allant jusqu'à calomnier sa femme pour servir sa propre ambition.
Toute l'ambiance du film vient elle aussi renforcer ce constat amer et tellement sombre. Que ce soit dans les décors, avec la maison de banlieue chic à l'intérieur aseptisé et normé, ou par le biais des amis, d'une jalousie malsaine à l'égard de cette possible prise de liberté, ou bien encore les voisins, hypocrites et incapables de sortir de leurs relations d'indifférence polie. Le classicisme de la mise en scène permettant entre autre de créer un espace de réflexion pour le spectateur, moins assailli par les images que par les questionnements relatifs au rapport à l'autre, à la perte d'indépendance. La musique de Thomas Newman fait quant à elle toujours des merveilles; traduisant à la perfection les états d'âme des protagonistes.
Un film fort donc, complexe, porté par l'intensité du jeu de son duo d'acteurs, mais aussi l'intelligence de son scénario et sa réalisation, consistant en une douloureuse plongée psychologique dans les méandres vers lesquels tend parfois la vie conjugale.
En tout cas, du haut de mes dix-sept ans, ce film avait profondément façonné ma vision du couple, et continue à le faire encore et encore, à chaque visionnage.