Après la superbe Etreinte du Serpent, Ciro Guerra poursuit d’une manière originale son exploration des ethnies latino-américaines. Dans un souci de renouvellement, et probablement par plaisir cinéphile, le voilà qui s’essaie au film de genre : Les oiseaux de passage évoque ainsi la façon dont certaines tribus colombiennes, sollicitées par les américains entre les années 70 et 80, ont mis en place une vaste production de marijuana destinée à l’exportation.


Du point de vue du récit, la structure est classique : comme dans un bon vieux Scorsese ou Scarface, la trajectoire suit la dynamique immuablement tragique du couple grandeur & décadence : initiation, prospérité, hybris et châtiment. Mais le premier intérêt, par rapport à la majeure partie des films sur le narcotrafic, est de nous donner le point de vue des producteurs, ces locaux généralement patibulaires et sanguinaires lorsqu’ils sont vus par les gringos. Non pas qu’il s’agisse de les réhabiliter ou prendre parti : la progression s’attache surtout démonter les mécanismes dans lesquels ils s’embourbent.


L’autre parti pris, bien plus important, est celui du regard porté sur cette tribu : Guerra & Cristina Gallego, son épouse et productrice qui co-réalise avec lui, font un réel travail poétique et ethnographique, qui poursuit le regard du film précédent. Par la structure en Chants, l’ambition de l’épopée est clairement affirmée, tout comme la dimension mythologique d’un peuple qui accorde une importance prépondérante aux rêves. L’une des scènes d’ouverture, une danse rituelle sur le passage à l’âge de femme pour une jeune fille, restitue ainsi avec puissance l’énergie et la poésie de ces rites, et on aurait aimé voir se répéter une telle séquence.


La progression du clan va donc articuler deux forces antagonistes : le pouvoir grandissant de l’argent, contre la permanence des traditions, incarnée par la figure matriarcale d’une mère, gardienne des talismans et de la mémoire ancestrale. Forcément, la modernité qui s’y oppose va faire voler en éclat un certain nombre de repères.


Cette posture permet au film de garder sa singularité, et occasionne de belles images (notamment cette bâtisse minérale et orthonormée au milieu du désert, symbole d’une richesse incongrue) et un rythme qui maintient l’attention. Mais il manque tout de même une force et une vigueur pour incarner pleinement ce déchaînement de violence qui, paradoxalement, semble se dérouler mécaniquement, et sans que les personnages y soit réellement impliqués. Peut-être est-ce là une volonté du couple à la réalisation, et nos ornières de spectateurs occidentaux nous empêchent-elles d’accéder à un plus haut sens ; toujours est-il qu’un sentiment d’incomplétude l’emporte et que cet original mélange d’ethnologie et de film de gangsters étonne davantage qu’il emporte.

Sergent_Pepper
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le 4 avr. 2019

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