Ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs au festival de Cannes de 2018, Les Oiseaux de passage est la première réalisation de Cristina Callego et le premier film réalisé en duo pour Ciro Guerra, qui avait déjà signé L’étreinte du serpent. Se voulant film noir, de gangster mais aussi à la fois un western et une tragédie grecque, le film sur l’origine des cartel, centré autour de la culture des wayuu semble fasciner. Qu’en est-il du résultat de ce film si novateur et ambitieux ? Les oiseaux de passage gère-t-il son mélange de genre pou s’écroule-t-il sous son poids ? Les oiseaux de passage est un film absolument dingue et incroyable, épique et tragique.


Le sujet du film, sur les Cartels et le trafic de drogue, est quelque chose que l’on voit et qu’on a vu de nombreuses fois, toujours voir souvent de la même manière même si la réalisation peut en changer la qualité. Ici, nous sommes dans tout autre chose, l’histoire de la naissance des cartels est radicale et différente de tout autre film du même genre tant on passe de code de genre à code de genre (western, drame familial, thriller mafieux) pour un film monstrueusement fou et incroyable. On peut parler de choc, de claque même tant le scénario et la mise en scène ont une force folle qui transfère une aura toute particulière au film. Le film passe par bien des genres et étapes pour arriver à ce que nous spectateurs connaissons de ce genre, connaissons des cartels et de leurs histoires. Pour en parler, autant commencer par le début, car il y a tout un cheminement dans ce film, une construction tel une fable ou un conte traditionnel, cela se révèle d’autant plus avec son chapitrage. Le film commence par un monde primitif, celui des traditions, croyances et rites qui servent à donner du sens à ce monde, qui le régissent autant qu’ils assurent sa cohérence. Ce monde nous est ouvert pour nous spectateur, pour que nous y découvrons les personnages et l’entièreté de ce monde. Le côté primitif est marqué par le positionnement et l’habitat, dans un désert, transpirant un certain vide, mais ce vide se complète par l’idée de communauté, celle des Wayuu. L’histoire commence d’ailleurs par un rite autour d’une jeune femme qui doit marquer la sortie de son adolescence. C’est la fête et c’est le moment où un homme en dehors de la communauté veux se marier avec cette jeune femme, mariage dont sa grand-mère, l’aîné du clan, y voit un malheur. Et c’est vraiment là que tout commence, comme une épopée, comme une grande tragédie non pas grecque, mais colombienne : la tragédie des cartels.
Le film met en avant, à travers son histoire, la disparition d’un monde au profit de l’apparition d’un nouveau. C’est le commerce de Marijuana qui va amener cette communauté à sortir de ce dont ils avaient coutume, de leur monde. Le profit prend la place de la tradition, les conflits prennent la place des rites et le respect ou les antiques lois sont souillés par les lois des affaires et du business qui commencent à se créer autour d’événements. L’intensité tragique est présente tout du long tant on suit l’ascension et la chute d’une communauté toute entière, mais aussi de tout habitant de cet Ancien Monde, celui des traditions, car ce sont surtout toutes ces communautés qui vont se détruire et se mourir, lançant les cartels que nous connaissons aujourd’hui. Certains parlent d’un scarface tribal et halluciné, et cela est tout à fait ça tant le film est ancré dans cette logique de film de gangster, mais ici, c’est le côté tribal qui est mis en avant, avec toute sa magie et ses prophéties, chose rendant le film onirique par l’aspect du surnaturel. L’histoire, chapitré selon les codes des films de gangster, suit une sorte de fatalité, une construction d’un drame gangster, or cette fatalité va s’introduire non pas dans une fatalité à cause humaine, mais bien dans un ensemble plus cosmique, plus grand, dans l’idée de prophétie. Ainsi, le film est halluciné et emprunt d’un onirisme absolument dingue. Le film passe donc du récit criminel à la fable, notamment dans sa dernière partie.
La multiplication des genres est d’une maîtrise hallucinante. En plus de passer par une construction narrative ingénieuse, le film dispose d’une mise en scène sublime. Les plans sont incroyablement soignés pour laisser transparaître le côté onirique et mystique de cet Ancien Monde, et le transcrire dans le nouveau. Cette retranscription dans le nouveau se fait via de la symbolique pure et dure, nous renvoyant dans cet espace vide, mais ici le vide est crée par ces immenses demeures d’un blanc pur, synonyme de réussite, mais aussi synonyme de perte de la communauté et donc de naissance de conflit et de guerre. Les habitats tribals aux espaces ouverts sont remplacés par des hauts murs qui renferment non plus les lois antiques, mais les nouvelles lois, capables de détruire ces derniers. On passe de l’immatériel au matériel avec cette dimension de fable, de tragédie, le tout marqué par cet onirisme ambiant. Les plans de la dernière partie coupent avec presque tout le film, l’inscrivant dans une radicalité magnifique qui permet de montrer l’absolue finalité de cet Ancien Monde dans une forme de chaos, toujours beau et hypnotique. Les Oiseaux Sauvages se démarque finalement d’un bon nombre de productions tant il gère son sujet et sa construction, aussi bien au niveau de l’histoire que de la réalisation, une claque bien méritée.

Conclusion : Les Oiseaux de Passage est un film absolument incroyable qui narre l’épopée créatrice des cartels, une épopée teintée d’onirisme où la force de la tradition familiale s’oppose à la réalité d’un temps, d’un business, celui des trafics de drogue. Magistral tout simplement.

sdtheking
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes mon année ciné 2019 et Les meilleurs films de 2019

Créée

le 20 mars 2020

Critique lue 84 fois

sdtheking

Écrit par

Critique lue 84 fois

D'autres avis sur Les Oiseaux de passage

Les Oiseaux de passage
AnneSchneider
8

La genèse de la violence

Sous sa caméra, tout ce dont s’empare le réalisateur colombien Ciro Guerra devient mythe. Porté à la reconnaissance par « L’Etreinte du serpent » (2015),...

le 15 mars 2019

37 j'aime

19

Les Oiseaux de passage
rem_coconuts
5

Les âmes perdues

[FORMAT COURT] Alors la France est marquée par les évènements de mai 68 et qu’éclate le Printemps de Prague en Tchécoslovaquie, rien de tout cela chez les Wayuu de Colombie. Après un an de réclusion...

le 9 avr. 2019

11 j'aime

7

Les Oiseaux de passage
Liverbird
8

Les Oiseaux s'envolent, les Esprits restent

Il y a quelques années maintenant, je fus époustouflé par le précédent film de Ciro Guerra: "L'Étreinte du serpent" sorte de récit mystique et aventurier perdu dans les méandres de l'Amazonie. Avec...

le 11 avr. 2019

11 j'aime

6

Du même critique

The Lost City of Z
sdtheking
9

Bienvenue dans le monde de l'exploration: critique de The Lost City of Z

Ce film est hypnotisant. C'est grandiose, on est pris par cet univers, cette ambiance unique où l'on est dans l'esprit de ce personnage, dans l'esprit de découverte. C'est sublime aussi, la musique,...

le 26 mars 2017

5 j'aime

3

Love Hunters
sdtheking
9

Extase filmique: critique de Love Hunters

Tout premier film de l'australien Ben Young. Commencer avec un thriller psychologique c'était assez délicat mais celui-ci relève le défis, le réussi et signe un film proche de la perfection tout...

le 10 nov. 2017

4 j'aime

Pharmacy Road
sdtheking
8

Le tour de France n'a jamais été aussi bien

Après 7 days in hell qui était juste hilarant, partant d'un match de tennis qui a duré 7 jours, nous re voici ici avec un autre mockumentaire, après le tennis, le tour de France. Ah le tour de...

le 11 juil. 2017

3 j'aime

3