Avec simplement sept petits films au compteur dont deux gros succès (Et La Tendresse Bordel – P.R.O.F.S.) et une disparition précoce dans un accident de voiture en 2002, le réalisateur Patrick Schulmann aura un peu fait figure d'étoile filante dans le paysage cinématographique de la comédie française. Passablement et injustement oublié Patrick Schulmann possédait un univers assez particulier à la fois libertaire, poétique, déconneur et surréaliste. Son avant dernier film Les Oreilles Entre Les Dents sorti en 1988 est une sorte de parodie de thriller avec une vraie fausse histoire de serial killer à la française plutôt savoureuse. Un film rare presque jamais diffusé à la télévision, sorti en DVD mais uniquement disponible à plus de cinquante euros sur le marché de l'occasion, le film fait vraiment figure de perle rare …
Les Oreilles Entre Les Dents nous raconte l'histoire d'un tueur à gage qui souhaite retrouver un magot planqué avec une jeune fille qui semble être la seule capable de déchiffrer l'énigme conduisant au précieux butin. Si le tueur trucide effectivement un homme avant de lui trancher les deux oreilles et les lui mettre entre les dents, toute une vague de crimes similaires va commencer à fleurir avec de nombreux personnages trouvant ici un excellent prétexte à maquiller crimes et accidents pour les attribuer au tueur faisant de lui un un coupable idéal et un serial killer activement rechercher par la police.
Même si il en adopte certains codes Les Oreilles Entre Les Dents est donc un faux film de tueur en série, Patrick Schumann montrant surtout comment par opportunisme, lâcheté, maladresse et mimétisme des personnages souvent assez ordinaires maquillent leurs pires méfaits pour divers raisons pas toujours très reluisantes. Vengeance de femme adultère, occasion de se débarrasser d'un contrôleur fiscal, opportunité de se dédouaner d'un accident mortel le film dresse le portrait acerbe de personnages délicieusement médiocres comme ce rédacteur de torchon à sensation content de maquiller un accident de la circulation en crime pour offrir une nouvelle première page sensationnaliste à son journal sur le nouveau crime du tueur. Mais si le film comporte de nombreux personnages peu fréquentables, il nous offre surtout une formidable galerie de personnages décalés et loufoques comme cet homme qui se sent invisible au yeux des autres et se retrouve capable de tuer pour simplement essayer d'exister. On croisera aussi entre autres une vieille folle donnant un portrait robot complètement fou du tueur qui ressemble pour elle à Laurel et Hardy mais avec souvent des dents vertes , un seul gros cheveux et la démarche de Tom & Jerry, la mafia des courses d'escargots, une nymphomane à la culotte qui fume ou un gamin turbulent avec une coupe mulet de jouer de foot allemand des années 80. Le film est ainsi bourré de petits détails savoureusement décalés et fous comme les petits pas et sauts de danse que font les personnages quand ils marchent (peut être un hommage à La cité de l’Indicible Peur de ?).
Le film s'appuie aussi sur un excellent casting avec pour commencer Jean-Luc Bideau génial en criminologue forcément à côté de la plaque mais ne cessant d'élaborer de nouvelles théories de plus en plus fumeuses à chaque nouveau meurtre tel un véritable profiler. A noter aussi la tranquille bonhomie de Laurent Gamelon (Révélé par Le petit Théâtre de Bouvard), un comédien qui ne connaîtra jamais vraiment le grand succès mais qui est ici parfait dans son rôle de père célibataire et enquêteur. On retrouve aussi une formidable galerie de seconds rôles avec Philippe Khorsand, Fabrice Luchini, Guy Montagné , Féodore Atkin, Christophe Salengro, Chantal Neuwirth, Michele Brousse et même Georges Lucas mais ce n'est qu'un homonyme. . Si le film fonctionne parfaitement durant ces deux premiers tiers on sent ensuite que le scénario tire un peu plus à la ligne, une fois passée la mécanique savoureuse des multiples tueurs nourrissant la crainte du serial killer le film s'enlise un peu avec l'arrestation d'un suspect trop idéal (Fabrice Luchini) et une histoire de machination criminel qui tourne mal et qui surtout tourne court. Pas de quoi toutefois bouder son plaisir pour cette sympathique comédie aussi rare que originale et qui sans être hilarante est globalement très amusante .
Peut être un jour un éditeur aura la bonne idée de ressortir l'intégrale de Patrick Schulmann en DVD. En 2022, vingt ans après sa disparition ça aurait été une drôlement bonne idée, mais l'occasion est déjà manquée.