LES OUBLIÉS (14,8) (Martin Zandvliet, DAN, 2017, 101min) :


Ce drame historique nous replonge en 1945, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale au Danemark où de jeunes soldats allemands prisonniers sont envoyés sur la côte, pour une opération de déminage des plages par l’armée danoise.


Réalisateur quasiment inconnu en France, ce film auréolé d’une nomination à l’Oscar du Meilleur film étranger et récompensés de multiples prix débarque discrètement sur nos écrans. Le sujet intrigue également. En effet tiré d’un fait historique méconnu, ce long métrage s’inspire d’un épisode d’après-guerre où faisant fi des conventions de Genève de 1929 l’armée britannique (danoise dans le film) utilise de jeunes prisonniers allemands de la Wehrmacht pour désamorcer des milliers de mines enfouies sous le sable de la côte Ouest du Danemark pendant l’occupation allemande pour contrecarrer un débarquement des Alliés. On recense pas loin de 2000 soldats allemands ayant participé à cette mission dont la moitié furent tués ou démembrés lors de ces opérations. Un chapitre oublié même dans les manuels d’Histoire rendant ce projet audacieux de par la nature de son sujet.


Le réalisateur choisit de nous présenter de prime abord le personnage sergent Carl Rasmussen et de dépeindre lors d’une première séquence brutale le patriotisme exacerbé de celui-ci et son esprit germanophobe primaire. Aucune compassion pour des jeunes gens ayant servis pour un pays qui a martyrisé le sien. Le sergent bourreau attend une quinzaine de gamins pour les envoyer flirter avec la mort comme d’autres avant abusaient de la « chair à canon ». Le récit place l’action dans un décor lumineux où l’horizon de la mer et l’envie de rentrer au pays natal se confrontent avec le huis clos de l’enfer à ciel ouvert déterminé par des barbelés. La vengeance mise à plat froidement, derrière les dunes, au son des vagues et sous le soleil exactement.


Le cinéaste d’emblée fait en sorte que le spectateur puisse ressentir de l’empathie pour ces gamins en forçant un peu le trait sur leur beauté, leur candeur, leur vulnérabilité, leurs traits de caractère assez marqué (le consciencieux, le peureux, le gentil, les frères jumeaux, l’opportuniste…). Ils obéissent à leur bourreau malgré des conditions inhumaines d’humiliation, de maltraitance où la fin se mêle à leur « punition » rédemptrice, avec tout l’espoir au fond d’eux, de retourner bientôt à la maison. Une liberté si proche géographiquement avec cet horizon maritime et si lointaine dans les faits.


La mise en scène reste parfois trop classique faisant preuve de modestie et reste régulièrement contemplative et la caméra pose régulièrement son regard à distance comme de peur de faire une faute de goût formelle alors que le sujet lourd ne peut se le permettre. Mais lors des scènes de déminage, la haute tension oppressante voit le jour avec une grande puissance émotionnelle. Des plans sur les regards, les mains qui tremblent, la caméra capture ses instants sur le fil du hasard. On ne peut mieux décrire l’angoisse de la mort qui peut exploser à chaque instant. D’une rare intensité, ces séquences nous renvoient Jeremy Renner dans « Démineurs » (2009) de Kathryn Bigelow tant la peur dû à l’empathie pour eux nous colle au siège.


Flirtant avec le lyrisme de l’acte héroïque, Martin Zandvliet n’oublie pas sa nationalité cinématographique génératrice de nombreuses intrigues tendues où l’épure évite le gras, le nouveau cinéma danois ronge l’os. Évitant ainsi le récit putassier en auscultant les âmes derrière l’uniforme. Le scénario devient plus retors évoque la notion de pardon et d’humanité et les portes ouvertes s’entrouvrent, se referment avec violence sans se démonter et s’ouvrent à nouveau. La haine sortant des gongs après une époque charnière voit le sergent opérer une mutation subtile en faveur de ces nouveaux hommes avec lesquels petit à petit, il tisse un lien particulier allant même jusqu’à un acte de bravoure d’opposition à sa hiérarchie.


Un plaidoyer pacifiste poignant à hauteur d’homme, n’éludant ni l’injustice, l’hostilité de la population locale, la dureté, l’atrocité et la saleté de la guerre mettant en péril l’instinct viscéral de la vengeance. Avec délicatesse et humilité le cinéaste s’appuie sur des interprétations convaincantes où le charismatique Roland Moller (R, Northwest, Hijacking) excelle de nuances aux côtés de « son » équipe de démineurs attachants tentant de survivre.


Venez découvrir ce morceau d’Histoire caché dont on comprend mieux sa présence en digne représentant du Danemark à la cérémonie des Oscars 2017. Faites votre devoir de mémoire citoyen en allant à la rencontre de « Les Oubliés ». Leurs regards resteront longtemps gravés dans votre cinéphilie. Puissant, sobre, âpre et déchirant.

seb2046
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le 1 mars 2017

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