Michel Houellebecq allait bientôt porter à l'écran un de ses romans : La possibilité d'une île en 2008, 'OCNI' décrié. La critique française se sentait trompée et profita de l'occasion pour le charger, avec une ferveur digne du lynchage de BHL suite au Jour et la Nuit. Dans Extension du domaine de la lutte, elle voyait une contribution à l'édifice antilibéral ; elle réalisera par la suite quel prophète dépressif elle avait acclamé. Houellebecq n'était pas un « humaniste » d'une quelconque sous-espèce paradoxale, un désabusé optimiste, un tendre blessé et rigolard ou autre fadaise ; le choc des Particules Elementaires (1998) n'en fut que plus grand.


Ces deux premiers romans sont adaptés en 1999 et 2006. Extension du domaine de la lutte repris par Philippe Harel est une réussite ; le matériau de base était concis et drôle, la version cinéma l'appuie et le renforce, met en valeur les 'claques', comblant avec son panache quelques angles morts houellebecquiens. Les particules élémentaires était dense et assez hardu à convertir en film ; celui d'Oskar Roehler est bien superflu. Il diffère du roman sans pour autant prendre de véritables libertés ou y ajouter. C'est un zapping sympathique, adroit et sans relief. Les aspects les plus outranciers, surtout les plus burlesques, sont restitués. Visuellement c'est paradoxal ; du rococo derrickien, du bariolé fangeux sapé par les rayons de la plus morne Allemagne – audiovisuellement parlant. Le climat est triste, un désir de férocité ou à défaut de faire féroce plane.


Le film est attrayant grâce à cette franchise et à une sobriété paradoxale, surtout dûe à son côté ramassé, son enfilage des moments forts. On évite le trop glauque, ou alors de s'y enfoncer (notamment les séquences indécentes avec la mère). Le rythme narratif du modèle est cassé, voire éclaté. Quelques extraits sont totalement travestis, sans avoir d'incidence sur l'ensemble ; ce ne sont pas forcément des choix excellents. Ainsi la rencontre avec l'éditeur potentiel de Bruno mettait en scène un interlocuteur pétillant, malin, au cynisme lumineux (c'était Philippe Sollers – Houellebecq cite régulièrement des célébrités, ou reprend leurs noms sans que le contexte s'y prête, inventant par exemple un obscur monsieur Desplechin dans Les particules) ; celui du film est relativement sombre, la scène tourne court et n'apporte rien, sauf une déférence tordue au roman.


De même, la séance de yoga, avec notamment la grosse bercée par ses vapeurs de vin rouge, est citée mais mal employée ; c'était le passage le plus pittoresque du roman et le coma éveillé de la dame avait une autre allure. Surtout, ces Particules laissent de côté les aspects sociétaux et scientifiques, sans lesquels le roman aurait été moins percutant ; sans lesquels de toutes façons il serait 'juste' une comédie dramatique trash sur les bords – poisseuse surtout. Le roman était concentré sur deux personnages, celui de Michel, le frère scientifique et cadre asocial (et asexué) est largement éludé ; les débouchés de ses travaux ne vaudront qu'un carton final, ses expériences et ses points de vue passent à la trappe. Heureusement, la puissance de l'aventure entre Christiane et Bruno rejaillit, avec son parfum de trivialité biscornue et tragique (avec lequel Houellebecq aimante et répugne). L'interprète de Bruno, Moritz Bleibtreu, gagnera un Ours d'argent au Festival de Berlin.


https://zogarok.wordpress.com/2015/11/03/les-particules-elementaires/


Voir aussi : L'enlèvement de Michel Houellebecq

Zogarok

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