Les Pianos mécaniques par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Vincent Mareuil, après avoir traversé une dure période dépressive, arrive en pleine période estivale dans la station balnéaire espagnole de Caldeva sur la Costa-Brava. Aussitôt, il fait la connaissance d'un petit groupe d'estivants français branchés et notamment de Régnier, un écrivain, père d'un petit garçon, et voguant entre alcool, drogue et jolies filles, mais surtout de Jenny, femme fatale de quarante ans en mal de vivre, propriétaire et égérie de la "Estrella", le café à la mode où se bousculent chaque soir, au son des pianos mécaniques, les noctambules fêtards, argentés et désoeuvrés de la station . Vincent et Jenny, souffrant d'un même mal, ne tardent pas à tomber amoureux l'un de l'autre. Toutefois, devant l'échec de leur vie et conscients que leur amour ne peut être que fugace, ils décident de se séparer. A l'ombre de Vincent, de Jenny et de cette faune, un couple d'adolescents, Serge et Nadine, vit également une aventure amoureuse passionnée mais bien incertaine.


Ce film de Juan Antonio Bardem est tiré du magnifique roman d' Henri-François Rey. Ces deux oœuvres furent créées en pleine dictature franquiste et sont une ode au peuple espagnol opprimé à cette époque. Cette société sentait la mort, la déchéance et l'échec. Toutefois cette société ibérique n'était pas la seule à connaître ces désillusions, et l'intrigue fait ressortir avec force la corrélation de deux mondes opposés par leurs moyens mais au combien semblables à l'arrivée. Les français débarquent sans complexe et s'affichent avec leur fric dans la débauche, usant de leur philosophie aux accents pédants et de leurs dons artistiques usurpés. Mais en fait ces gens sont malheureux dans leur carapace grotesque, ils sont blasés, ils n'ont même plus la force d'aimer et seuls les artifices arrivent tant bien que mal à leur faire supporter une existence dénuée de tout fondement. L'Espagne qui ouvrait les palaces pour mieux cacher la misère, quant à elle, souffrait et s'asphyxiait de son manque de liberté, de cette dictature entrevue de main de fer par le gouvernement et le clergé. Ce peuple là, meurtri mais fier dont Jenny est le symbole, n'avait plus, lui non plus, la force de lutter, trahi par ce en quoi il croyait par dessus tout. Ce monde des adultes ne pouvait transmettre à leurs enfants que l'échec de la société dans laquelle ils tentaient d'évoluer. Ces enfants innocents, personnalisés par Serge et Nadine, rêvaient d'amour et d'un monde rempli de bonheur Au lieu de cela, ils sont infectés par les résidus de cette société suffisante, inconsciente et dépravée pour les uns, rigoriste, recroquevillée sur le passé et répressive pour les autres. Cette histoire nous montre alors du doigt les conséquences directes de l'intolérance et de la misère sur l'incompréhension des êtres humains entre eux, qu'ils soient adultes, certains d'avoir raté leur existence avec bien sûr les regrets, les peines et les drames que tout cela a pu entraîner et entraîne toujours, ou adolescents.


Juan Antonio Bardem fut un réalisateur remarquable et engagé. Il le démontre une fois encore dans l'adaptation de ce roman. Néanmoins, s' il parvient à développer avec justesse et puissance le caractère psychologique de cet échantillonnage de personnages, le film n'a pas l'atmosphère un peu mystique et inquiétante que dégage le livre. Bien sûr l'histoire est condensée et le réalisateur s'est plus attaché aux aspects psychologique et militant qu'au reste, mais c'est tout de même assez dommageable. Certaines scènes son très émouvantes et fortes tel le passage dans lequel Jenny et Vincent font l'amour en parallèle à un spectacle de flamenco où l'interprète chante et danse en faisant ressortir des expressions au diapason avec les sentiments exprimés par le couple. Les bas-fonds de Barcelonne dont Vincent dit qu'ils sentent la mort sont décrits avec un formidable réalisme. Jenny est également sublime en plein désarroi et vêtue de glaïeuls rouges vifs. Dans ce film à la distribution très cosmopolite, c'est un plaisir de revoir la merveilleuse Melina Mercouri avec sa voix rauque et son regard empli d'amour, de bonté, mais aussi de misère et de détresse. Hardy Kruger est, comme à son habitude, froid et sobre. Il est émouvant dans ce rôle de dépressif sensible, idéaliste puis fataliste et dégoûté par la réalité des choses. James Mason, amateur de femmes, et se saoulant autant d'alcool que de paroles se montre pourtant attendrissant malgré ses vices et très convaincant au même titre que les autres acteurs de ce film au climat noir. A signaler la fort belle musique de Georges Delerue mettant en valeur ces fameux pianos mécaniques.


Une nouvelle fois, je vous demande de ne pas oublier ou sous-estimer ce film courageux et quelque peu disparu, car il est le reflet fidèle d'une société bien réelle de l'époque .La justesse et l'originalité de ce témoignage font que cette oeuvre ne paraît pas démodée et reste une vraie curiosité. Je vous conseillerais de lire également ce roman passionnant et attachant, ainsi vous connaîtrez tout de cette brillante partition des pianos mécaniques.


Extrait du film :
https://www.youtube.com/watch?v=UR0-8rHvMQg

Créée

le 2 juil. 2014

Modifiée

le 30 juin 2014

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