Galerie de tocards plus ou moins responsables et pathétiques
Si j'étais un représentant de commerce ou un provincial susceptible, peut-être serais-je vexé par "les Portes de la gloire". À la décharge de Christian Merret-Palmair, ce n'est jamais facile de filmer le miteux — tout et tout le monde, décors et personnages, est miteux dans ce film. C'est cela aussi, comment certains vivent : du vague motel au restaurant d'autoroute, en passant par la banlieue pavillonnaire, la boîte de nuit pseudo-cubaine, la poésie pagnolesque sans Pagnol, la soûlerie comme bout du tunnel hebdomadaire, les marchés méridionaux faussement pittoresques, le moment d'évasion devant le Pont de la rivière Kwaï et le canevas avec les cerfs en train de boire accroché au mur, la vieille mère à qui l'on rend une visite obligée et à qui l'on n'a rien à dire, les collègues avec qui il faut bien passer le temps, en discutant de tout et de rien dans la camionnette ou au bord de la piscine
Car dans la galerie de tocards plus ou moins responsables et pathétiques interprétés dans sa carrière, Benoît Poelvoorde n'a jamais été si bien entouré. Et pourtant la solitude de son personnage n'est peut-être jamais aussi bien ressortie que lors des deux scènes de foule du film. Son rôle, assez proche de celui qu'il joue dans "Ghislain Lambert" ou de "C'est arrivé près de chez vous", fait des "Portes de la gloire" un faux film comique ; les quelques moments où les personnages s'essaient à l'humour sont ceux-là où ils sont le moins drôles. Et quand on rit, on rit jaune ou noir. Le problème avec l'humour noir, qui a donné lieu à une kyrielle de courtes blagues et de bons et brefs livres, c'est qu'il tourne vite en rond, et que le cinéma tolère moins l'essoufflement
Le réalisateur tâche de s'en tirer grâce à un embryon de scénario, qui du moins permet au film de ne pas être que la peinture d'un milieu. Ce n'est pas mal filmé non plus : on cherchera en vain une bonne trouvaille visuelle, et on retrouvera quelques plans assez proches de ce que fera ensuite le duo Kervern – Delépine. De bons acteurs aussi, en tout cas des acteurs au physique approprié, même si Poelvoorde n'est jamais loin du cabotinage. Cela dit, ces acteurs-là sont ici réduits à incarner des types — le petit chef en quête de reconnaissance, le timide inexpérimenté, le beauf, le poète égaré, le V.R.P. à l'ancienne, le patriarche sans gants : ils sont capables de mieux. Et il manque sans doute aux "Portes de la gloire" un peu plus d'ambition. Sur un univers étriqué, avec des personnages étriqués, le défi aurait été d'élargir le propos, fallût-il pour cela, paradoxalement, accroître la durée du film, et prendre le risque de l'aérer, comme on ouvre la fenêtre d'une pièce pour chasser l'odeur de renfermé.