Ce film méconnu, je ne sais trop ce qui a conduit l'ancien numéro qui est une femme libre maintenant à en faire une petite annonce. Tant mieux, je l'avais un peu oublié, j'ai réfléchi, et décrété qu'effectivement, il méritait bien sa tartine.
Le casting rend fou, une cascade de débutants ou d'acteurs plus ou moins connus, que l'on retrouve, deux ans avant, trois ans après, que sais-je, à jouer d'autres rôles, dans une configuration à peine renouvelée. L'amoureux de Judy Garland dans Parade de Printemps retrouve ici June Allyson, sa partenaire de Good News (pour les intéressés, souvenirs souvenirs), et peut reconnaître, même s'il a quitté Judy, les seconds rôles du Chant du Missouri, à savoir la jeune sœur Smith, le Papa Smith, la Maman Smith, qui jouent ici exactement les mêmes rôles, jeune sœur March, Papa March, Maman March. Janet Leigh se retrouve en sœur aînée mature et avisée, Elizabeth Taylor est blonde (je dis ça, j'ai tout dit), et finit d'ailleurs avec le jeune fou de Good news. On ne comprend rien ? Truffaut argumente dans La nuit américaine, « Le cinéma c'est une grande famille », Jean-Pierre Aumont lui répond, « Les Atrides aussi, c'est une grande famille ».
Comme si tout le monde s'était retrouvé pour faire un des films les plus américains et les plus familiaux qui soient. La famille Smith quitte, le temps de quelques heures, la maison du Missouri, et monte dans le Nord rejouer Minnelli. Je rapproche les deux films, ce n'est pas uniquement pour une raison de distribution. Les quatre filles réussissent le même défi que les Smith, passer deux heures à voguer de scènes d'intérieur en scènes d'intérieur, chambre, salon, escalier, chambre, cuisine, salle de bal (etc), sans nous faire une soupe au théâtre. J'excepte les scènes d'extérieur pour les besoins de la démonstration - la scène de tramway et la soirée d'Halloween (pour le Minnelli), les arbres en carton-pâte (pour le Leroy). On retrouve les mêmes fils narratifs, une maison, quatre filles, un père absent, les saisons qui passent, les feuilles de l'automne, etc.
Tout a été fait en studio. On a donc droit à quelques sublimes extérieurs en toiles peintes, des frondaisons au printemps, sous la neige, quelques maisons bourgeoises, et un arc-en-ciel final.
Leroy fait un remake des Quatre filles de Cukor, lui pique sa musique, quelques belles scènes (pas trop) et... fait un meilleur film. Ce genre de choses ne pouvait arriver que dans les années 1950. Là où Cukor fait reposer son film sur une Katharine Hepburn bien théâtrale et des scènes d'intérieur qui le sont encore plus, Leroy s'intéresse à une mise en image, celle d'un roman populaire et lumineux.
D'ailleurs, il se trouve que la guerre de Sécession est une de mes périodes historiques préférées. Je pense à Autant en emporte le vent, qui se déroule à la même époque, je m'émerveille des contrastes entre sociétés sudistes et nordistes.
Et ces couleurs, pour finir ! Les joues de June Allyson sont irisées, les feuilles mortes tombent sur sa robe noisette, sur ses cheveux bruns, devant ses grands yeux bleus ("they sure are blue!"), rêveurs, mais bien déterminés.
D'ailleurs, June Allyson, quoi qu'elle fasse, incarne à merveille l'intrépide Jo March, qui représentait pour moi, gamine, l'héroïne la plus parfaite de la création littéraire passée, présente, et à venir. June Allyson qui remonte sa crinoline jusqu'au cou pour pouvoir courir plus vite, June Allyson décrétant « De toute manière, c'est moi l'homme de la famille », June Allyson, souriante, « Je suis un écrivain, vous savez » alors qu'elle a vendu deux nouvelles à une feuille de chou, June Allyson les cheveux coupés façon hérisson, « C'est très frais comme ça », ou clamant à la sortie d'un opéra, « C'est moi, Joséphine March, et je suis heureuse ce soir ! »