Lorsque Jimmy Laporal-Trésor rencontre Manuel Chiche, patron de The Jokers, il n'a que Le baiser (2013) à son actif. Le réalisateur travaille depuis un moment sur un projet nommé Les Rascals avec Sébastien Birchler et Virak Thun et ils butent en particulier sur un passage situé en 1986, deux ans après l'action principale du scénario. Pour Chiche, le projet reste compliqué car Jimmy Laporal-Trésor n'a que le court-métrage précité à son actif. Il lui propose alors de réaliser un autre court-métrage avec la potentielle équipe de son premier long-métrage.
Au final, la fameuse partie qui posait problème sera le sujet de Soldat noir (2021), court remarqué évoquant la chasse aux skinheads en 1986. A partir de là, Les Rascals peut se lancer et se présente comme une sorte de prequel à Soldat noir (bien qu'il a ironiquement été écrit avant). Le réalisateur et ses scénaristes ont fait un travail de recherches pour essayer de retranscrire la réalité de l'époque en visionnant des documentaires, des archives, des photos (notamment celles de Gilles Elie Cohen et de Philippe Chancel), en interrogeant des gens, mais aussi en repensant à leur vécu.
Dès ses premières minutes, Les Rascals ne fait aucun cadeau, montrant le lynchage de trois gamins issus de l'immigration par des skinheads. Cette scène scellera l'amitié des enfants agressés ; et l'acte de violence qui suit plusieurs années plus tard en est la conséquence. Le dicton "oeil pour oeil, dent pour dent" va alimenter une haine de plus en plus destructrice et radicale, avec son lot de morts et d'agressions inutiles. Chaque clan (les Rascals comme les boneheads qui leur servent de bourreaux et adversaires) va progressivement s'engouffrer dans une rage qui n'amène que pertes et fracas. Chacun va vouloir se venger de l'autre au bout d'un moment et à chaque fois, cela finira dans un bain de sang.
Il est d'ailleurs ironique que la seconde victime (le tabasseur tabassé en l'occurrence) soit désormais un skinhead repenti, comprenant ce qui lui est arrivé et ne cherchant pas à répliquer. C'est sa soeur (Angelina Woreth) qui le venge, s'engouffrant dans le radicalisme. A partir du moment où l'on sait que les boneheads traquent les Rascals, le spectateur est dans l'attente. Il va d'abord voir ce dont les boneheads sont capables avec des communistes et trépigner en attendant que le drame se déroule. La scène du métro n'est d'ailleurs pas sans rappeler la traque des Warriors de Walter Hill dans le même type d'endroits.
Le réalisateur prend bien soin de rendre les Rascals attachants avec leurs qualités et leurs défauts (bien aidé par des acteurs inspirés), avant de les montrer aussi bien victimes que chasseurs. Tout n'est donc pas blanc de leur côté et la haine de tous bords entraîne des drames qui auraient pu être évités. Comme la représentation de l'extrême-droite dépasse les simples boneheads et touche aussi bien l'éducation nationale que la police, avec des gens se présentant comme propres sur eux et biens sous tous rapports, tout en ayant des idées nauséabondes et les actes radicaux qui vont avec.
Le traitement de la violence s'avère intéressant, car dépasse la violence gratuite. Il y a des scènes frontales comme la scène inaugurale où la caméra sert de punching-ball, le coup de la batte ou la torture d'un communiste. Mais pour la scène la plus dérangeante, on est sur du pur hors-champ. La fin peut paraître un peu brut avec ses cartons et ses ellipses. Néanmoins, elle montre aussi la rapidité de la radicalité des deux camps, chacun préparant ses pions avant de passer à l'attaque.
Les Rascals apparaît donc comme le prélude à un chaos dévastateur, évoquant aussi bien l'époque en question que la nôtre qui ne fait que répéter les mêmes erreurs.
(Certains aspects de la production évoqués sont tirés du dossier présent dans le numéro 118 de Cinémateaser)