Des milliers de récents décédés reviennent subitement à la vie. Ils sont proche de l'aphasie, quasi-mutiques, dorment pas ou peu. Ils appliquent des acquis et vieux réflexes avec langueur. Leur seule initiative est un rituel collectif nocturne et la faculté assortie – se déplacer. La société tâche de les ré-intégrer, doit trouver des postes adaptés pour les anciens actifs. Certains restent abandonnés dans les centres gérés par les décideurs politiques, à défaut d'entourage les réclamant. Cette donne extraordinaire est traitée avec recul et gravité, avec un travail important sur l'ambiance (et une musique des profondeurs). La mise en scène est froide, ambivalente entre rationalisme naïf et plongeon dans le mystère. Le phénomène est observé dans une ville française, bien que l'événement concerne le monde entier ; la séance centrée sur le cas de Jonathan Zaccai.
Globalement le film reste dans l'expectative. Il multiplie les questions, avance des hypothèses par le biais des divers experts ou des réunions en conseil municipal. Le monde extérieur à la commune semble oublié y compris pour l'avancée des investigations, sauf vers la fin via la radio. C'est que les vivants sont dépassés et leurs constats ne servent qu'à les morfondre, ce qu'ils s'efforcent d'éviter en relativisant, sans quoi ils seraient emportés par le trou noir qu'ils sentent déjà sur eux. Les hypothèses valent autant que les faits lorsqu'il s'agit d'éclairer la situation : il faut accepter l'incongruité en restant détachés. Il peut y avoir une foule d'informations à circuler que ça ne change rien, aussi le film montre l'essentiel. Les espoirs et enthousiasmes face à ce retour sont mitigés dès le départ, puis vite oubliés. Les morts revenus n'apporteront plus rien, que la lourdeur de leur présence vaine et absurde ; et cette équanimité insondable et effrayante.
C'est un bon film pour ce qu'il pose, ce qu'il ouvre et ce qu'il est ; mais un film avec beaucoup de limites – délibérément installées. Les Revenants pourrait simplement appartenir à une nouvelle branche du film de zombie – peu récupérable car trop floue et plombante. Ces revenants ressemblent à des passifs-agressifs radicaux, systématiques, absolutistes. Ils savent esquisser un sourire et se bloquent là-dessus, en terrassant insidieusement leur public désarmé par cette aura contre-nature, aberrante mais sûre d'elle-même. Ils laissent entrevoir une mission : ils pourraient être les ambassadeurs d'une faucheuse 'ultime' ou d'autre chose plus menaçant et inconnu à l'imaginaire traditionnel. L'attitude un peu excentrique du personnage interprété par Frédéric Pierrot semble tirer le film vers la surenchère poseuse, mais elle se défend aussi dans le sens où celui-ci pourrait être absorbé par son sujet d'étude (et si le film s'engage peu, il semble reconnaître que les revenants 'déteignent' sur les vivants). D'ailleurs la capacité qui le distingue, celle d'intellectualiser, est aussi inutile que ses mises en garde.
Cette remise en question de la mort par Les Revenants en précède d'autres aux styles éloignés : la série US Les 4400 fut tournée au moment où la sortie de ce film se préparait ; la série The Leftovers (2014) misera sur un postulat inverse (des vivants s'évaporent) et sur l'émotionnel à fond ; enfin et surtout la série éponyme de Canal+ (2014) est une adaptation, généralement mieux jugée que son modèle. Robin Campillo, monteur (L'Autre monde) et scénariste (Vers le Sud, Entre les murs), repassera derrière la caméra dix ans plus tard pour Eastern Boys, lui aussi ancré dans une réalité crue et paisible, pleine d'anecdotes vulgaires et familières.
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