Regarder des films aussi anciens, bien que parfois très réputés (celui-là est cité dans le TOP 100 de l'American Institute), est parfois une chose délicate... En même temps, un film de mutinerie, et donc d'aventure marine, réalisé en studios les 3/4 du temps avec des plans truqués, et qui plus est interprété de manière théâtrale (habillés en pyjama, les bras sur les hanches lorsqu'ils veulent faire les aventuriers) et donc parfois fausse, manque d'attraits immédiats pour un spectateur devenu bon gré mal gré un archéologue de la pellicule. Mais au final, il faut bien l'avouer que ce film pose les bases du genre, et traite plutôt bien le sujet dans le fond, une fois qu'on l'a un peu débarrassé d'une forme plutôt poussiéreuse dans son ensemble.
Le pilier du film, tout comme dans Moby Dick de John Huston, est le capitaine du Bounty qui distribue les punitions à la chaîne, que la tempête gronde ou qu'au contraire le temps soit sec et sans une once de vent. Son personnage est particulièrement réussi, et sera bien sûr l'étincelle qui provoquera la soudaine mutinerie. L'angle d'approche du film est discutable - en gros, cette mutinerie aurait permis aux anglais d'être meilleurs marins en mettant officiers et subalternes sur un pied d'égalité -, mais a le mérite de décrire avec justesse la montée de cette colère et ses motivations.
Le capitaine est comme Dieu sur son bateau, administrant la punition - fil conducteur de la première partie - y compris lorsque l'accusé est mort, en toutes circonstances climatiques, pour des raisons parfois futiles (par exemple lorsqu'un marin reconnaît son ignorance par rapport à certains faits qui se sont produits), même lorsque le droit est contre lui. En effet, la loi n'est pas pour lui ce qu'elle devrait être en principe, à savoir un moyen de faire régner l'ordre et l'harmonie, mais est utilisée égoïstement et cruellement aux fins du Capitaine, pour se faire des petits plaisirs ignorés de tous, sauf de ses officiers. Bref, l'inégalité et l'hypocrisie règnent de son côté, et multiple les raisons de distinguer officiers et matelots. Enfin, le malaise par rapport aux conditions de navigation est ressenti depuis les terres où les marins désertent pour ne pas y retourner, certains s'y étant établis avec femmes et enfants. Il y a aussi quelques scènes amusantes, comme le cuisinier qui a peur de jeter ses sauts du mauvais bord par crainte de se faire fouetter.
La structure du film est simple, divisée en trois parties, le départ et le trajet - dont on suit la progression à l'ancienne, par des cartes -, le séjour à Tahiti pour des recherches scientifiques (apprendre la langue locale et rapporter une nouvelle ressource), et enfin la mutinerie et le tribunal. Les indigènes ressemblent beaucoup à ceux du Nouveau Monde, à savoir beaux, candides, vivant simplement et dans la paix. La description de leur langue est intéressante, non intellectuelle, et avant tout relationnelle. Il s'agit peut-être du seul endroit où les décors sont naturels, avec des paysages souvent magnifiques, paradisiaques. Un véritable contrepoint avec la loi sur le bateau. Ici tout le monde est à l'aise, avec ce climat, cet environnement, et ces beautés peu sauvages. D'autre part, la relation entre le scientifique et le lieutenant se développe, limite gay-friendly par moments (il faut les voir s'allonger sur la plage en train de bouffer une banane sous un cocotier ...). Bien qu'idéalisée, cette étape est primordiale pour comprendre la tension que se jouera ensuite sur le bateau. La reprise est ainsi difficile, avec tous ces biens offerts parfois personnellement considérés comme propriété royale (mais on se doute aussi que le capitaine va prendre sa part) et ces nouvelles punitions distribuées de manière abrupte et souvent injustifiée.
Le moment de la mutinerie n'est vraiment pas la meilleure séquence du film, servie par une mise en scène inégale, avec des plans coupés qui cachent avec peine les trucages. En contre-partie, la remise à la mer du capitaine et de ses officiers est épique, et probablement le meilleur moment du film. Son désir de vengeance le fait redevenir plus humain que jamais. Mais son humanité (enfin un partage équitable des ressources) révèle avant tout un réalisme à tout épreuve, qui ne vise qu'une chose, demeurer vivant pour assouvir son désir, ce qu'il ne peut faire tout seul. La mise en scène est simple mais brillante, faisant ressentir la précarité du voyage par le biais de lettres décrivant le rationnement de plus en plus dur, traduit par une écriture de plus en plus tremblotante.
Jusqu'au bout, la tyrannie du capitaine est inflexible, déployant sa fonction le menant au bout de ses forces et du nouveau bateau qu'on lui a confié. Avec lui ou contre lui physiquement, telle est sa règle d'or. Les circonstances atténuantes n'existent pas pour lui. Au tribunal, la raison tranche. Un excellent marin, il ne fait pas de doute, mais un humain épouvantable. Du côté des mutins, la liberté a un goût amer, car loin de chez eux, mais leur permet au moins d'être eux-mêmes, sans crainte pour les diviser (ce qui a failli le temps d'une scène faire basculer le groupe vers l'anarchie, preuve qu'une liberté auto-proclamée est aussi fragile qu'une loi qu'on use et abuse).
Bref, une histoire intéressante, bien traitée, qui accuse peut-être de son âge quant à la forme (la majorité des décors et l'interprétation théâtrale), mais qui contient malgré tout quelques bons moments de bravoure.