Magnifique découverte.
Les Saints innocents est une peinture naturaliste violente et sauvage du Franquisme des années 60 à travers le portait d'une famille de paysans vivant sous le joug de riches propriétaires terriens. Réalisé en 1984, peu de temps après la mort de Franco, Mario Camus a signé un témoignage édifiant sur cette page tragique de l'histoire européenne.
Il s'agit d'un film âpre et saisissant qui montre la sombre réalité du Franquisme. Tout en haut, des seigneuries richissimes, héritières des privilèges d'ancien régime et adoubées par une Eglise catholique toute puissante dont le rôle était de légitimer l'ordre naturel des hiérarchies sociales.
En bas de l'échelle, les serviteurs soumis aux caprices de leurs maîtres, aux humiliations et aux mauvais traitements. Pis encore, ces serfs du 20ème siècle ne pouvaient même pas rêver d'amélioration de leur condition sociale par l'école et l'éducation.
Mario Camus n'a pas voulu faire un film directement politique. A travers ce portraits de paysans, il dépeint la réalité quotidienne des paysans-esclaves des campagnes espagnoles des années 1960. Franco n'est jamais cité et l'on ne parle pas de politique et encore moins de révolte. Mais à travers le regard des serfs, magnifiquement incarnés, le réalisateur nous montre la décadence d'une grande bourgeoisie terrienne pétrie de morgue et de turpitudes et qui sait, au fond d'elle, qu'elle vit ses derniers instants.
Les scènes de chasse occupent une place importante, car elles sont le lieu de rencontre symbolique de cette caste privilégiée au cours desquelles s'expriment les rivalités puériles des importants. Mais le gibier importe peu, ce qui compte au cours de ces scènes cynégétiques, c'est le plaisir pervers de contempler les serviteurs dans des postures humiliantes et serviles. Et signifier leur gratitude aux maîtres par dessus le marché.
Le film est découpé en quatre chapitres axés sur quatre membres de la famille : le père courageux et soumis à son maître, le beau-frère simple d'esprit qui domestique les oiseaux, les deux enfants qui, à défaut de pouvoir se révolter, sauront préserver leur dignité. Autour d'eux gravitent deux autres personnages fantomatiques : la mère, pilier de cette tribu, et une fille lourdement handicapée dont les cris inhumains renvoient à la bestialité des conditions de vie de ces paysans.
Les sains innocents est un film noir et pessimiste, situé quelque part entre Viridiana de Bunuel et Padre Padrone des frères Taviani. Œuvre cinématographique d'une exceptionnelle radicalité, c'est surtout un témoignage saisissant sur la réalité sociale de l'Espagne rurale des années franquistes qui mérite impérativement d'être découvert.