Un vrai massacre
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce titre de critique n'a pas de double sens, il s'applique au ton général du film et surtout à la fusillade finale qui vire au carnage avec une tonne de...
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le 23 sept. 2018
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Texte originellement publié sur Filmosphere le 29/09/2016.
http://www.filmosphere.com/movies/les-sept-mercenaires-antoine-fuqua-2016
Chaque nouveau film d’Antoine Fuqua semble être la tentative désespérée de renouer avec un cinéma de qualité qu’il a (très) ponctuellement touché. Le bougre n’est pas un réalisateur malhonnête, mais l’aventure sur le terrain marécageux du remake est un pas qu’il faut surveiller de près. Les Sept Mercenaires récite les poncifs lourdingues de cette mode, autant qu’il est tentant de le critiquer avec les poncifs habituels. Adaptation sans idées, c’est un film de plus, au sein de cette vague du revival du western, qui drague le genre vers le bas, vers l’amoindrissement intellectuel et la superficialité formelle.
Par honnêteté et simplicité de l’exercice critique, il ne sera pas question de se lancer dans une comparaison, point par point, avec ses illustres ancêtres. Expédions-le de suite : l’intérêt du film de John Sturges était de se dépêtrer de la grandiose ombre de Kurosawa, ne rivalisant pas tant dans la portée psychologique, mais sachant ne pas sacrifier le politique au profit d’un western spectaculaire au casting all-stars. C’était autant l’héritier comme la matrice d’une génération de compréhension des liens entre le chambara et le western, des genres pensés et réfléchis – souvent – par des auteurs notables, des gros films de majors aux séries B. Justement, on voudrait faire passer ces Sept Mercenaires, cuvée Fuqua, comme un hommage à la série B par la simplicité de son pitch, à savoir cette poignée d’hommes qui doit faire face à une horde sauvage, devenue ici démesurée en nombre, comme celle qu’affronte Jack Beauregard dans Mon Nom est personne.
Halte-là ! Avant de brandir l’argument fourre-tout « série B », qui rappelle plus qu’autre chose les braves défenseurs de Gods of Egypt et le fameux « hommage à Ray Harryhausen », il faut reconsidérer autant que possible ce que l’esprit de « série B » constitue, au-delà de la simplicité d’un pitch. Le western d’Antoine Fuqua est un film pompeux à près de cent millions de dollars, à la balourdise résolument incroyable dans son interminable exposition. Fuqua s’appuie sur la structure du western hollywoodien dans sa forme la plus classique et pompière possible, force de gros moyens et de stars. La qualité de l’intrigue est justement secondaire devant l’intérêt porté aux têtes d’affiches, comme si le simple fait de voir le fade Chris Pratt jouer les caïds eastwoodiens constituait ce que le film avait de plus intéressant à proposer, pour faire plaisir à son public. Là-dessus, interrogeons-nous encore : quid de la série B ? On est loin de l’efficacité record qui transcendait les westerns de Budd Boetticher, qui auraient pourtant pu être un manuel, que les producteurs des Sept Mercenaires n’ont hélas pas daigné consulter.
Il faut peut-être, pour mieux en comprendre les enjeux, revenir aux origines de cet étonnant retour à la mode du western. Comme celui (encore plus étonnant) du péplum biblique, il traduit surtout l’incompréhension notable de l’ère moderne hollywoodienne au sujet de ses propres modèles, ceux du temps des géants. Une poignée de réalisateurs se distingue de la masse, et insuffle aux autres suiveurs l’envie de surfer sur la vague. Évidemment, l’excellent Django Unchained de Quentin Tarantino (qu’on couplera à la récidive, encore plus réussie, Les 8 Salopards) n’est pas anodin dans toute cette sombre histoire d’opportunistes. Mais en réalité, et ce depuis Open Range de Kevin Costner (dont l’acte final est tout à fait comparable avec le film de Fuqua, du moins partout où ce dernier échoue), le genre avait réussi à survivre d’année en année grâce à un film par-ci, un autre par-là, de Blackthorn à The Homesman. Même le remake (l’exercice n’en était pas moins difficile) de 3h10 pour Yuma par James Mangold se distinguait par son honnêteté. Entre temps, l’appétit hollywoodien fut largement calmé après Lone Ranger, dont l’échec commercial traduisit l’impossibilité d’un western épique à grande échelle enrobant un fond politique, dégoûtant un public qui pensait n’y voir que des sottises pyrotechniques. Justement, là est toute la limite du film d’Antoine Fuqua.
L’enjeu du film, la défense de cette fameuse petite bourgade face à un vil grand propriétaire terrien, antagoniste certes récurrent dans la mythologie du western, mais présenté ici sous ses traits les plus ineptes (en d’autres termes, un méchant très méchant), n’intéresse en réalité personne : ni les personnages, ni le spectateur. L’humain est absent, la réflexion sur l’esprit communautaire américain évacuée. En guise de compensation, on baroude avec ces mercenaires de tous horizons, mais l’écriture ne leur apporte pas grand-chose si ce n’est un regard lisse et anachronique. Çà et là, un enjeu dramatique est fixé sans que personne n’y croie véritablement, par réflexe mécanique du scénario hollywoodien. Le charisme naturel des héros du récit cède la place à l’excentricité, seule manière d’exister, de faire l’intéressant au milieu de cet océan sans remous. Après tout, c’est ce à quoi s’emploie Ethan Hawke, nous livrant sa meilleure imitation de Nick Nolte. Excentricité toute relative, par ailleurs, puisque qu’elle n’atteint pas Fuqua, curieusement enfermé dans un certain classicisme désincarné.
Encore une fois, se pose tout le problème de comprendre les grands maîtres. C’est aujourd’hui un peu péjoratif de dire « classique » d’un film ou de son style, même si en réalité, le langage cinéphile voudrait que ce soit une manière d’épouser certains idéaux fondateurs. Sans en venir à Clint Eastwood, grand maître classique, ne serait-ce que Lawrence Kasdan donnait le parfait exemple de cette reprise du classicisme dans son beau Wyatt Earp. Même le pétaradant Gore Verbinski parvenait à capturer, non sans intelligence, l’héritage de John Ford et d’Arthur Penn. Antoine Fuqua semble s’être contenté de regarder la version de Sturges et d’en filmer une nouvelle comme un artisan anonyme. Certes pas un mauvais artisan, car pour être honnête, il est toujours possible de reconnaître au film son effort visuel (tourné par ailleurs en 35mm par Mauro Fiore). Mais quelle pénurie d’idées ! Fuqua applique sans réfléchir, et son travail est la rédaction d’un élève qui ne fait pas de fautes d’orthographe, mais ne semble toutefois pas capable de formuler une phrase complète et intéressante. Quoiqu’à l’heure où l’essentiel des faiseurs hollywoodiens relèverait d’illettrés notoires, peut-être devrait-on modestement s’en accommoder.
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le 28 nov. 2016
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