La plus grande force de Shichinin no samurai est de composer un registre épique au sein d’un récit qui ne cesse de nier l’épopée : nous avons plutôt là des tranches de vie d’abord strictement séparées et mobilisant des personnages a priori inéligibles au statut de héros (des paysans, des samouraïs déchus et sans maître) qui vont s’amalgamer à mesure que les valeurs humaines triomphent, ressuscitant un esprit féodal traditionnel. La façon qu’a Akira Kurosawa de représenter la misère, par des gros plans sur des grains de riz répandus à même le sol qu’essaie de ramasser une main amaigrie ou par des travellings élégants où s’incarnent les relations de pouvoir, les angoisses d’une existence qui ignore la sécurité, rappelle le geste d’un John Ford sur The Grapes of Wrath (1940) : tous deux osent le sublime alors que leur sujet respectif l’interdisait ! Une très belle séquence conduit Kikuchiyo à énumérer les stéréotypes liés aux deux populations en présence, à savoir d’un côté les cultivateurs superstitieux terrifiés à l’idée de voir femmes et filles ravies par les nouveaux venus, et de l’autre les samouraïs insatisfaits capables d’abuser de leur autorité. Kurosawa conjure ces clichés en divisant les guerriers venus de la ville, qu’il faut d’abord et périlleusement rassembler : il leur confère une identité propre, opposant à la sagesse de l’un la bestialité démente d’un autre ; il procède de façon similaire avec les villageois, dessinant les contours de différents foyers ayant chacun leurs préoccupations et dilemmes.
Surtout, l’audace subversive du long métrage tient à l’inscription de la chose militaire au sein d’un cadre bucolique, célébrant le travail des champs et la communion avec la nature : nombre de plans captent les déplacements des samouraïs dans des parterres de fleurs ou en forêt, empruntant certains cadrages aux Nibelungen (1924) de Fritz Lang. La clausule mélancolique assoie d’autant mieux la déconvenue amoureuse et héroïque de nos protagonistes qu’elle s’insère dans les rizières, éléments naturel par rapport auquel ceux-ci retrouvent leur étrangeté fondamentale. Seule la mort sert de trait d’union, figurée par le cimetière.