Sept des plus grands -enfin connus- réalisateurs sont réunis dans une salle à la demande de l'association de tous les grands studios que compte la planète.
L'enjeu est simple. Réussir le plus beau film possible à partir d'un thème imposé.
Les réalisateurs sont libres, en dehors de toute contingence technique ou financière, de présenter leur vision, leurs envies, leur projet.
Le thème est le suivant: des villageois savent qu'une horde de bandits viendra bientôt les priver de tout ce qu'ils possèdent. Sans argent ni appuis, ils comprennent que leur seule chance sera de faire appel à des mercenaires pour sauver leur récoltes, leur vies, leurs honneurs.
Le jury est tendu et inquiet, l'avenir du cinéma est en jeu. Ni plus, ni moins.
L'heure est grave.
Chaque impétrant possède une minute pour défendre son projet. L'horloge égrène les secondes.
Le président du jury: Michael B., vous avez été choisi pour commencer. Sachez que votre présence ici n'est due qu'au fait que nous cherchions un faiseur de blockb…
Michael B.: L'essentiel tient dans les 15 premières et 15 dernières minutes ! L'intro permet de présenter 7 badass dans des situations renversantes qui montrent à quel point nous avons à faire à des personnages bigger than life ! (tic-tac, tic-tac) La fin? Un déluge pyrotechnique au cours duquel les méchants explosent dans des…
Le président: Merci. Steven S. ?
Steven S.: Je vois deux aspects essentiels au projet. Le premier est évidemment la victoire du bien sur le mal. C'est la victoire morale des hommes qui travaillent la terre, aidés par d'autres hommes, et c'est le deuxième aspect, qui ont choisi la voie des armes par un hasard du destin ou une fatalité. Ces guerriers ont peur, mais surmontent leurs angoisses grâce aux vertus du courage qui..(tic-tac, tic-tac) évidemment, je serai entouré de mon directeur de la photographie, mon monteur et mon compositeur habituels et il me faudra l'entier contrôle de…
Le président: merci. M. Night S. ?
M. Night S.: Pendant tout le film, nous sommes persuadés que l'ennemi est une bactérie extra-terrestre aux effets inconnus qui transforme les femmes du village en…
Le président: merci. Brian De P.?
Brian De P.: Il n'y a pas de film si tout ne tourne pas autour du méchant. Un bon film, c'est trois choses: un bon méchant, un bon méchant et enfin un bon méchant. Je me rends compte que ce que je viens de dire est assez génial. Nous insistons sur les tendances sadique obsessionnelles de M. (le méchant). De nombreux flash-backs psychédéliques nous font revivre son enfance traumatique alors que sa mère, pute débonnaire amatrice de sex-toys confectionnés à base de hérissons morts…
Le président: merci. David L. ?
David L.:
(tic-tac, tic-tac)
Je vois une pièce rouge sang !
Le président: la minute est écoulée, merci. Quentin T.?
Quentin T.: Le projet de Michael B. est le bon ! Il oublie simplement l'essentiel. L'interaction entre les villageois et les mercenaires découle d'une scène où tous sont réunis autour d'une table. La tension vient du dialogue, et plus d'une demi-heure est occupée par un débat opposant les deux camps pour savoir si les spaghettis doivent se déguster en sauce et si oui, laquelle. Al Dente, chef aveugle des yakuzas Pes-thô (tic-tac, tic-tac) …et à la fin tout explose dans un déluge pyrotechnique au cours…
Le président: Merci. Terrence M. vous êtes notre dernier espoir.
Terrence M.: Un village n'est rien s'il n'est pas présenté dans toute la plénitude des décors naturels dans lequel Dieu (qui pourrait être joué par John Travolta, que j'ai déjà dirigé) a voulu qu'il existe. Les villageois s'interrogent, et chacune de ces méditations métaphysique sont portées par des voix off (tic-tac, tic-tac). Et à la fin, un dinosaure…
Le président: merci.
Il soupire.
Son assesseur se penche à son oreille: monsieur, il existe, en dernier recours, la vision de ce réalisateur, mort il est vrai, qui prend à revers toutes les façons habituelles de voir la chose. Cela tournerait autour de la peur, de l'amour, de la difficulté de coexister, de la rapidité dénuée de tout romantisme de la mort, du non-héroïsme absolu, de la défaite du camp victorieux, de... (tic-tac, tic-tac)
Le président: vous m'avez bien dit qu'il était mort, ce réalisateur ?
L'assesseur: oui.
Le président: alors c'est le cinéma qui est mort.