Un film roumain à Cannes, qui plus est en compétition officielle, c’est presque une obligation. Généralement, ça dépasse les 2h30, c’est social, dépressif, familial, sur les cendres du communisme et le désenchantement de l’accès à une liberté fallacieuse. Soit à peu près tout l’inverse des Siffleurs, polar de 1h35 qui commence sur une île des Canaries et va jouer sur une partition décomplexée un récit à tiroirs multiples.


Petit condensé d’une dissertation d’un cinéphile enthousiaste, le récit part dans plusieurs directions, jouant des trahisons successives, des doubles jeux et d’une fragmentation temporelle qui dissémine habilement les éléments de l’intrigue. Dans ce milieu où tout le monde est suspect et les flics ripoux, les caméras de surveillance et les micros imposent un triple jeu, et l’apprentissage d’un langage connu de la pègre seule, ces fameux sifflements qui donnent des airs de western à un film noir qui prend surtout soin de s’amuser.


Les références cinématographiques abondent (de La Prisonnière du Désert à Psychose, à la manière du cinéma de De Palma), la musique est constante, au point que le vinyle tient lui-même de personnage de l’intrigue : Les Siffleurs est un film formaliste, exhibitionniste, malin et décomplexé, où le plaisir implique une certaine indulgence quant à l’ambition générale, notamment en termes de crédibilité scénaristique ; la manière dont le cinéma est évoqué par instants (notamment dans cette séquence avec un importun réalisateur en repérages sur un lieu sensible) en dit long sur le degré de lucidité de Corneliu Porumboiu. Le film, chapitré par personnages, joue d’une large palette chromatique sur la photographie, accentuant une artificialité au service d’un mélange des genres (western, film noir, comédie, thriller…), ne se limite néanmoins pas un simple exercice de style. Les séquences d’apprentissage du langage sifflé permettent l’émergence d’une certaine poésie par l’investissement des espaces, et des jonctions entre l’étendue naturelle des îles minérales grecques et des villes bétonnées de Roumanie. Alliée à l’importance accordée à la musique, cette attention permet de doubler le langage des personnages, totalement gangrené par le mensonge et la manipulation, d’une lucidité plastique à la fois rutilante et satirique. Ou comment mêler maîtrise de la forme, plaisir décomplexé et singularité culturelle, un cocktail auquel le cinéma roumain ne nous avait pas habitué jusqu’à présent.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 10 janv. 2020

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Sergent_Pepper

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