Face aux mastodontes présents cette année dans une Compétition tout bonnement exceptionnelle, certains films plus mineurs peinent à trouver leur place. Pire, souffrant de la comparaison avec la concurrence, ils font même pâle figure. C’est le cas de Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu, film noir moderne venu de Roumanie qui s’avère être un divertissement référencé correct, mais jamais à la hauteur de sa sélection.


Synopsis : Cristi, inspecteur de police à Bucarest, se rend sur l’île de La Gomera aux Canaries pour apprendre le silbo qui est le langage sifflé des habitants de cette île.


Les Siffleurs est une proposition frustrante car dotée d’un énorme potentiel, mais qui l’exploite malheureusement sans inspiration. Premièrement, le film a du mal à démarrer, souffrant d’une exposition laborieuse malgré une séquence d’espionnage de scène d’amour assez drôle. Les enjeux manquent de clarté, les personnages un peu vite introduits. Heureusement, passé le premier tiers, le divertissement prend le dessus et l’on peut réellement prendre plaisir à suivre ce film noir aux multiples retournements scénaristiques.


Car comme tout film noir et d’espionnage qui se respecte, l’intérêt de l’écriture est de perdre le spectateur parmi les mensonges et les trahisons qui s’enchaînent. On ne sait jamais vraiment qui est avec qui, qui est une taupe, qui veut quoi et pourquoi. Le suspense fonctionne assez correctement, même si l’on a du mal in fine à s’impliquer dans les motivations de quelconque personnage, étant tous plus ou moins antipathiques, et le protagonistes franchement apathique pour le coup.


Vlad Ivanov, sorte de croisement entre Michael Keaton et Laurent Baffie, sans le charisme du premier ni la vivacité d’esprit du second (indéniablement) est assez irritant. Sans émotion, monotone dans son jeu, l’acteur se contente de froncer les sourcils pour signifier qu’il ne comprend pas les situations et paraît toujours subir les scènes (sans que ce soit justifié par l’intrigue). La réalisation ne l’aide pas franchement non plus à donner de la personnalité à l’ensemble, tant celle-ci est plate et convenue. Le final, certes assez réussi esthétiquement, demeure lui aussi anecdotique.


Il y a tout de même des choses à sauver dans Les Siffleurs, notamment le malin plaisir que le réalisateur prend à insérer des références cinématographiques volontairement lourdingues pour mieux les détourner (un remake de la scène de la douche de Psychose, très drôle ; un extrait de La Prisonnière du Désert, où les sifflements des indiens font échos à ceux du gang du film ; la femme fatale appelée Gilda, en référence au film éponyme de Charles Vidor ; etc.). On sent que le cinéaste roumain est un cinéphile averti mais conscient des risques de la citation gratuite. Sur ce point, c’est intelligent. Ceci dit tout le film dans son ensemble procède avec intelligence pour faire surgir des purs moments de comédie au milieu d’une intrigue violente et grave.


Réinventant à sa manière le film noir en lui apportant une chaleur latine bienvenue (des Roumains, des Espagnols, des Italiens, un bonheur pour les oreilles), Les Siffleurs ne parvient jamais à décoller et reste coincé dans les starting blocs du divertissement satisfaisant sur le moment, mais oublié aussitôt la projection terminée. Un film pas mauvais, mais pris au piège d’une Compétition acharnée cette année. À voir un dimanche soir sur son canapé, pour un moment agréable.


[Article cannois pour Le Mag du Ciné]

Grimault_
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2019, l'année sans rime, Au théâtre ce soir (2019) et Cannes 2019 : mon palmarès

Créée

le 22 mai 2019

Critique lue 1.7K fois

22 j'aime

Jules

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

22

D'autres avis sur Les Siffleurs

Les Siffleurs
Grimault_
5

Hommages et des espoirs

Face aux mastodontes présents cette année dans une Compétition tout bonnement exceptionnelle, certains films plus mineurs peinent à trouver leur place. Pire, souffrant de la comparaison avec la...

le 22 mai 2019

22 j'aime

Les Siffleurs
Val_Cancun
7

Gilda

Ce n'est pas tous les jours que je regarde un film roumain, mais "La Gomera" s'éloigne nettement de l'idée caricaturale qu'on peut se faire du cinéma de l'Est : triste, cérébral et long comme un jour...

le 19 mars 2022

9 j'aime

Les Siffleurs
Jo_Babouly
3

Critique de Les Siffleurs par Jo_Babouly

J'ai pas vu l’intérêt du film. Le coté thriller est raté à cause d'un scénario à effets de surprise bien vain. Si on comprend bien chaque rebondissement, en revanche on n'a aucune vision claire de...

le 20 janv. 2020

8 j'aime

3

Du même critique

Le Château ambulant
Grimault_
10

Balayer derrière sa porte

Dans le cinéma d’Hayao Miyazaki, Le Château ambulant se range dans la catégorie des films ambitieux, fantastiques, ostentatoires, qui déploient un univers foisonnant et des thématiques graves à la...

le 1 avr. 2020

162 j'aime

31

OSS 117 - Alerte rouge en Afrique noire
Grimault_
3

Le temps béni des colonies

Faire une suite à un diptyque désormais culte a tout du projet casse-gueule. D’autant que Michel Hazanavicius est parti et que c’est Nicolas Bedos aux commandes. Certes, ce dernier a fait ses preuves...

le 4 août 2021

121 j'aime

20

Solo - A Star Wars Story
Grimault_
4

Quand l'insipide devient amer.

Solo : A Star Wars Story est enfin sorti, après un tournage chaotique et une campagne marketing douteuse, à l’image d’un projet dès son annonce indésirable que l’on était en droit de redouter. Si le...

le 27 mai 2018

112 j'aime

34