Les Sœurs fâchées part d’une opposition géographique – Paris contre la Province – pour mieux orchestrer une opposition de caractères entre deux individualités qui se complètent en se rejetant : chacune des sœurs dispose d’une charge contraire, l’une est positive, modeste et enjouée, l’autre cultive son malheur et porte sur le monde un regard désabusé. Aussi le film d’Alexandra Leclère interroge-t-il la famille en tant qu’unité, lancé pendant toute sa durée dans une quête de liens qui puissent tenir ensemble deux êtres qui ne partagent rien d’autre qu’un nom, qu’une mère devenue sujet tabou. Il frappe par ses ruptures de tons, surprend par la cruauté de certaines de ses scènes, impressionne par la prestation de ses deux actrices principales, formidables parce qu’elles sont capables de susciter le rire, l’émotion ou l’effroi. Est utilisée ici toute la palette de l’humain saisi dans sa cruauté et son désarroi essentiels ; car les deux personnages disent chacun quelque chose de l’existence, portent sur elle un regard qui peut soit être enchanteur et candide – celui de Catherine Frot – soit heurter par sa froideur clinique.
La mise en scène traduit la conviction chère à la réalisatrice d’une énergie positive placée en la vie : sa caméra s’engage dans des mouvements précis et amples qui semblent empruntés aux adaptations de contes de fée ou aux divertissements destinés à la famille ; dit autrement, elle s’émerveille de ce spectacle de la chaleur et de la cruauté mêlées, sans jamais tomber dans la complaisance ni donner raison au mépris parisien à l’égard de la provinciale. Le long métrage constitue donc un hommage et une réponse au film de Jacques Demy, Les Demoiselles de Rochefort, dont la chanson bien connue est reprise par les deux actrices puis réactualisée lors du générique en clausule : deux sœurs jumelles non parce qu’elles sont nées sous le signe des gémeaux mais en raison de leur opposition radicale de caractère qui ne trouvent un équilibre que dans le conflit et le décentrement qu’il occasionne.