Jeannot Szwarc nous a quitté ces dernières semaines. Le grand public ne le connaît probablement pas, mais il a surement vu un épisode de séries télévisées réalisé par ses soins sans s'en rendre compte. Parmi elles, Fringe, Grey's anatomy, Columbo, Kojak, Smallville, Heroes ou encore FBI Portés disparus. Un sacré palmarès allant de 1968 à 2018, auquel se rajoute plusieurs films.
Après des années aux USA où l'un de ses plus beaux faits d'armes fut la seule bonne suite aux Dents de la mer (1978), son agent l'appelle pour travailler sur un film français nécessitant un réalisateur d'urgence. Ce film c'est La Vengeance d'une blonde (1994), satire sur la télévision écrite en grande partie par Marie-Anne Chazel et Michel Delgado. Un film convaincant sur certains aspects (le portrait constamment dégradé d'Annie Cordy, Thierry Lhermitte en savant mélange de Jean-Pierre Foucault et de Patrick Sabatier), mais qui montre vite ses limites. Néanmoins, La Vengeance d'une blonde fonctionne au box-office (2 millions d'entrées), se présentant comme le premier opus d'une drôle de trilogie française pour Szwarc.
Arrive ensuite l'à peine meilleur Hercule et Sherlock (1996), film dont le réalisateur disait à Mad Movies (*) que les personnages de Christophe Lambert et Richard Anconina étaient bien trop similaires. On ne peut pas lui donner tord (visiblement une décision de la productrice Marie-Christine de Montbrial, également scénariste du film), tant le duo manque de personnalité, au contraire des deux chiens en titre. Mais si le score est moindre par rapport au précédent film (959 090 entrées), il n'en reste pas moins correct pour cette comédie oubliable mais sans prétention.
C'est alors que Chazel et Delgado reviennent avec un nouveau projet et refont appel à Szwarc. Mais le réalisateur accepte sans être emballé par le scénario et Les Sœurs Soleil signera la fin d'une ère pour lui. Suite au four commercial du film (287 976 entrées), il repartira aux USA à la fois pour suivre sa femme, mais aussi pour revenir à la télévision où il y avait une forte demande pour les séries. Il s'agit également de son dernier long-métrage, se présentant en quelques sortes comme un chant du cygne aussi inattendu que frappadingue.
Certes, nous ne sommes pas au niveau cataclysmique d'un Jean-Marie Poiré post-1989, mais Les Sœurs Soleil se présente comme une comédie barjo semblant avoir été confectionné avec une célèbre poudre blanche près de la machine à écrire... ou plutôt des space pancakes comme le montre le film. Plus le film avance, plus le spectateur hallucine en se demandant jusqu'où ça va aller et c'est ce qui rend Les Sœurs Soleil aussi attachant que délirant. On est fixé dès les premières minutes avec Chazel jouant pour une chorale de l'église du coin ; et l'abbé Didier Bénureau filmant sous toutes les coutures Frankie Pain déguisée en panthère, entre deux passages d'Arielle Sémenoff faisant l'autruche.
La présence de Clémentine Célarié va amener le chaos dans la famille D'Hachicourt, faisant tomber l'empire du papier-toilette dans une spirale infernale où se côtoient des rock-stars sur le retour, un kangourou, un arnaqueur de haut vol et un patron de maison de disques peu scrupuleux. Sans compter les talents de Chazel pour la pop catholique, ce qui n'est pas sans ravir Eric Levi qui s'apprêtait à casser la baraque avec Era. Mais le plus beau fait d'arme du compositeur reste l'impitoyable Les hommes je les consomme, fameux single du personnage de Célarié. Evidemment, on voit que l'actrice chante la chanson en playback, tant elle n'a absolument pas le même timbre de voix qu'Esther Dobong'Na (sœur de Princesse Erika et choriste de Mylène Farmer sur plusieurs tournées). Mais la chanson est un moment de rigolade à lui tout seul (imaginez une version féminine de Fruits de la passion de Francky Vincent), tout comme la confection du clip dans un supermarché, avec des hommes emballés avec du film alimentaire dans un cadis ; et où Chazel fouette des hommes rajoutés en post-production entre deux melons.
Mais Thierry Lhermitte n'est pas en reste. S'il était amateur du sourire colgate dans La Vengeance d'une blonde (on n'était vraiment pas loin de la marionnette de Sabatier dans Les Guignols de l'info), ici il le perd plus d'une fois, le running gag étant qu'il bousille constamment son bridge, entraînant de superbes défauts de prononciation et des colères ravageuses. Néanmoins, personne n'est préparé à le voir sous drogue, semi à poil, en train de faire le kangourou et envisageant Isabelle Carré comme une femelle kangourou (effet-spécial terrible même pour 1997, mais on dira que c'est l'effet drogue).
La réalisation de Szwarc est peut-être un brin trop classique vu le côté foutraque du scénario, confirmant qu'il était avant tout un bon faiseur. Il est donc rare d'avoir un véritable moment de folie furieuse dans ce qu'il filme, à l'image de Chazel faisant une crise de tétanie au volant de sa voiture filant à plus de 150 km/h ou du passage Kangourou suscité. Chazel et Lhermitte sont parfaits en caricature de couple trop propret, quand Célarié en fait volontairement des caisses en star sur le retour cleptomane. Mentions spéciales à Bernard Farcy parfait en patron prêt à tout pour faire un hit ; Matthew Marsden en travesti à la cool (oui, le mercenaire de John Rambo et Dead Or Alive) ; ou Jean-Michel Tinivelli en animateur radio déguisé en abeille (oui, il y a vraiment un truc avec les animaux dans ce film).
Certains verront Les Sœurs Soleil comme un énorme nanar, voire comme une bouse infâme typique de son époque et on pourra difficilement leur donner tord, tant il faut adhérer au délire. C'est pourtant ce côté foutraque qui rend le film aussi amusant, jouant pleinement sur le côté excessif pour donner lieu à une comédie sous coke qui est comme un bon diesel : une fois lancé, on ne l'arrête plus. Merci pour ce grand moment de rock' n roll Jeannot !
* Voir Mad Movies numéro 293 (février 2016).