« Il n’y a de sorcellerie que là où l’on y croit, n’y croyez pas et il n’y en aura plus. »


Massachusetts 1692
Dans le petit village de Salem la colonie puritaine au grand complet s’apprête à célébrer dimanche, jour du Seigneur, où la moindre tâche entreprise revêt l’allure d’une grave offense à Dieu, chacun se rendant au temple de concert, pour y écouter le sermon vengeur du Révérend Parris, pasteur de la communauté.


Seul maître Proctor, chemise ample largement ouverte sur la poitrine et manches retroussées, comme saisi d'une rage fiévreuse, ignore avec superbe les diktats d’une journée qui pour lui, ne diffère pas des autres : s’activer dans la cour de la ferme, couper le bois, le débiter, réparer la carriole, voire même labourer, au grand dam des paysans ultra religieux dont il demeure l’un des principaux représentants.


La barbe noire qui lui dévore les joues, accroît l'expression farouche de son regard, donnant à sa virilité un côté sauvage et primitif.
Un homme dans la force de l’âge, que l’on sent tendu, frustré dans ses désirs de mâle, époux de l’impériale Elisabeth, ovale pur et belle prestance mais qui rongée par la foi, raidie dans son orgueil de femme croyante et vertueuse, se refuse à lui depuis des mois.
Une rigidité qui imprègne chacun de ses gestes, chacune des paroles dures qu’elle prononce, voix coupante et visage fermé en réponse aux sanglots de l’enfant, qui serre contre elle le présent de son père :



Donne-moi cette poupée, Fancy, les enfants ne doivent pas jouer le dimanche : tu veux mettre Dieu en colère?



Mais déjà le père accourt, aux abois, couvrant sa petite fille de baisers, lui susurrant à l’oreille des paroles de consolation et de réconfort, libérant en lui ce trop plein d’amour qui l’étouffe, tandis qu’il enveloppe sa femme d’un regard où le désir le dispute à la rancœur.


Un désir non assouvi qui réveille « la bête en lui », ce qu’a bien compris la jeune Abigaïl Williams, entrée à son service depuis peu : ses yeux qui le cherchent sans cesse, le sourire railleur flottant sur ses lèvres entrouvertes, son jeune corps qu’elle est prompte à dénuder, sont une invite perpétuelle pour l’homme en manque, rendu fou par l’ardeur sensuelle de cette fille de 17 ans, consciente de son pouvoir sur un maître qu’elle se plaît à tenter pour mieux le posséder.


Violence physique où l’être humain se révèle tout entier dans ses contradictions, en témoigne la scène clé du pigeonnier où la confrontation à forte connotation sexuelle entre maître et servante, si elle souligne la résistance de John Proctor, déterminé à cesser sa relation adultérine avec Abigaïl, met aussi en lumière le jusqu’au-boutisme d’une fille amoureuse et exaltée qui ne reculera devant rien pour s’approprier l’amant qu’elle convoite.


Rejetée par l’homme qu’elle a fait « sien », renvoyée et humiliée par une maîtresse qu’elle abhorre, la jeune femme va se muer en vengeresse dans une société nourrie de ses peurs, laquelle, étroitement liée à la religion qui imprègne la moindre décision, peut transformer d’un jour à l’autre le fidèle en mécréant.


Et c’est dans cette ambiance âpre et survoltée que la rumeur de sorcellerie se répand comme une traînée de poudre : femmes fouettées, filles hystériques qui hurlent et se roulent à terre, sabbat en forêt initié par Abigaïl, qui, la bouche encore rouge du sang qu’elle a bu devant les enfants médusées, réduites à sa merci, se proclame désormais victime d’une possession démoniaque.


La cour de justice formée à cette occasion et présidée par le juge Hathorne et le Révérend Parris, oncle d’Abigaïl, et père d’une des enfants « possédées » se saisit alors de l’affaire, condamnant à la pendaison toutes les personnes désignées comme sorcières par les fillettes en état de transe.


Dans l’hystérie collective qui s’ensuit et la formidable confusion qu’elle entraîne, nulle place pour le bien et le mal, nulle recherche de vérité sinon une caricature de procès où chacun tremble d’être dénoncé pour ce qu’il n’a pas fait.


Présent et passé se rejoignent dans cette « chasse aux sorcières », qui décrit aussi bien l’Amérique des fifties et la croisade anti-communiste menée par le Sénateur McCarthy que la Salem du XVIIème siècle où l’auteur dénonce avec force le fanatisme religieux et l’incroyable crédulité d’êtres livrés à leurs peurs ancestrales.


Simone Signoret, en femme amoureuse et victime de sa foi, taraudée par la peur du mal, fascinée par l'acte de chair, refusé encore qu'ardemment convoité, délivre une prestation intense où tout passe par le regard : peu de mots mais une présence magnifique, la caméra s’attardant sur son visage marmoréen que souligne l’austère coiffe de l’époque.


Montand , lui, dans le rôle d’un homme simple et honnête, sincèrement épris de sa femme mais époux frustré qui ne peut réprimer ses pulsions, se révèle particulièrement émouvant dans la deuxième partie, où voulant sauver Elisabeth de la potence, il reconnaît publiquement sa faute, n’hésitant pas à s’humilier devant tous.


Quant à Mylène Demongeot, petite débutante de 22 ans, elle est redoutable d’efficacité : une Abigaïl habitée, tour à tour insolente et tentatrice, ne craignant ni Dieu ni Diable, une « sorcière », insulte suprême que Proctor, excédé, tant par les manigances de cette fille en chaleur que par la folle envie qui le dévore, lui crache à la face, mais c'est d’abord une véritable Circé, capable du meilleur et avant tout du pire, pour garder l’homme sur lequel elle a jeté son dévolu.


Dans sa réalisation rigoureuse et d’une esthétique très picturale, Raymond Rouleau donne à son film une tonalité digne des tableaux flamands : nombreuses scènes éclairées à la bougie et paysages de bord de mer dans un Noir et Blanc absolument somptueux.
Une œuvre audacieuse dans ces années d’après guerre et la reconstitution soignée d’un fait historique qui nous plonge « dans les méandres d’une intrigue à la fois spirituelle et terriblement terrienne. »

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le 23 mai 2018

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Aurea

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