Les Spécialistes par Alligator
Film d'enfance par excellence pour bibi. D'adolescence devrais-je dire. Vu au cinéma alors que je devais avoir 12/13 ans, à l'heure où mes hormones tintinnabulaient je ne savais quelle musique mais que ce film passablement testostéroné traduisait sûrement avec une redoutable efficacité. Il fonctionnait à plein tube, grâce à la virilité, l'humour et la coolitude des deux comédiens principaux, images-modèles pour le petit d'homme que j'étais. Cette question d'identification est essentielle pour expliquer l'espèce d'affection (même si le terme est sans doute un peu fort) que j'éprouve encore aujourd'hui pour ce film. "Sympathie" serait plus approprié?
Quoiqu'il en soit, il ne faut pas non plus pousser le bouchon trop loin : le film n'est pas un grand film, il est juste un bon petit film de divertissement, sans grande envergure, sympatoche, bien fichu, mais dont la portée reste limitée.
En tout cas, parfaitement ancré dans son époque, il excelle de nos jours à rendre compte de beaucoup de choses de ce cinéma français des années 80 : ses ambitions, sa jeunesse, ses talents.
Son ambition première est clairement de produire du spectacle, à l'image de celui que sait déjà créer le cinéma hollywoodien. Un buddy-movie avec un casse, deux acteurs populaires, des courses poursuites dans un monde où les flics sont aussi pourris que les mafieux sont vindicatifs, ça sent sous les bras et on aime ça.
Duperies retournant les situations, amitiés viriles, bastons à coups de boule ou de flingue, BM rutilantes, bras d'honneur, jurons bien sentis décorent un scénario somme toute assez banal. Par sa simplicité il entend s'inscrire dans un cinéma populaire, facilement compréhensible, sans prise de ciboulot et il y parvient aisément. Et c'est peut-être là que certains pourraient y déceler une certaine facilité, voire une vulgarité de mauvaise aloi, disons un manque de finesse et d'envie. Je ne peux pas totalement souscrire à ce reproche, mais je peux l'entendre.
Sa jeunesse est incarnée par des comédiens en pleine bourre à ce moment-là.
Gérard Lanvin, issu du café théâtre, a déjà su faire son nid dans le cinéma français, jouant les gros bras au cœur tendre. Il bénéficie d'ores et déjà d'un capital sympathie indéniable, de belle consistance. Son bagou, sa décontraction lui ont permis de séduire un très large public.
Dans une certaine mesure, le parcours de Bernard Giraudeau ressemble pas mal à celui de Lanvin, lui aussi traine ses guêtres dans des films populaires, beaucoup de comédies mais très tôt il a su varier les plaisirs et donc les cinémas, s'attelant à des rôles plus complexes, en tout cas plus distants (on l'a déjà vu chez Scola, ou chez Christopher Frank par exemple). Sa palette est indubitablement plus large, mais il n'en demeure pas moins très apprécié du public.
Ces deux acteurs sont assez sûrs d'eux pour prendre en charge la quasi intégralité du film sur leurs épaules. Globalement axé sur leur duo, le scénario ne laisse que très peu de place aux seconds rôles.
La très délicate Christiane Jean passe complètement inaperçue. Elle avait pourtant de quoi faire avec un personnage endeuillé et compliqué.
On notera la présence de Maurice Barrier dont la tronche de franchouillard patibulaire a servi de punching-ball à bon nombre d'acteurs français dans les années 80. Éminemment antipathique, on aimera pourtant retrouver sa gueule et sa voix si caractéristiques.
Alors le film démontre surtout le talent de Patrice Leconte à marier dans une parfaite symbiose tous ces éléments éparpillés pour en faire une combinaison très divertissante, à défaut d'être d'une grande profondeur. Sa mise en scène n'est pas plus inventive qu'une autre, mais elle a le grand mérite d'être précise, d'accompagner le récit avec cohérence et de proposer un spectacle efficace, vif, jamais emmerdant, faisant preuve d'un bon équilibre.
Je viens de revoir le film et d'en apprécier le jus, la vitesse et surtout l'espèce de joie enfantine qui s'en dégage. Pourtant il me faut signaler que la revoyure précédente (datée d'il y a deux ou trois ans) m'avait fortement incommodé. A ce moment-là, j'avais trouvé le style du film très vieillot, trop marqué par son temps ; surtout j'avais eu l'impression que le couple Lanvin/Giraudeau forçait un peu trop le trait. C'est d'autant plus curieux qu'aujourd'hui j'ai celle beaucoup plus positive de retrouver tout le sel de leur union. Comme quoi, je suppose que l'humeur à l'instant du visionnage pèse énormément sur le jugement.