S’il ressemble par bien des aspects à M le Maudit, Les SS frappent la nuit retourne néanmoins la trajectoire suivie par Fritz Lang pour faire du tueur en série sévissant en Allemagne non pas l’objet d’une chasse à l’homme avec, en creux, un discours de bouc émissaire censé purger les passions des habitants, mais au contraire le spectre d’une justice nazie pas si infaillible que ça et qu’il convient d’enfermer loin des regards indiscrets. La locomotive qui expédie l’inspecteur sur le front parce qu’il en sait trop atteste d’ailleurs, entre deux de ses portes, le matraquage idéologique et le culte de la performance : « les roues ne roulent que pour la victoire », lit-on.
Aussi Siodmak pense-t-il sa mise en scène comme un art du dévoilement : tout ce qui d’ordinaire reste caché gagne le premier plan et s’exhibe. On pense aux mains baladeuses d’un officier, à la réification des femmes jugées pour la forme de leur poitrine moulée de blanc, à cet ivrogne aussi qui s’amuse à transpercer les supports amovibles de son doigt, répétant lourdement le viol à venir. Le film date de 1957 et s’avère pourtant d’une modernité déroutante : l’exploitation des femmes par des mâles aux besoins bestiaux n’est pas sans résonner avec notre actualité, tout comme la propension gouvernementale à étouffer des affaires qui pourraient nuire à son image, à minimiser les faits, à trouver de faux coupables.
Ce que Les SS frappent la nuit donne à voir et à vivre, c’est le refus d’un état totalitaire à accepter les failles de son système : qu’un tueur en série agisse impunément depuis plus de dix ans n’est pas idéologiquement décent, il faut l’écarter, il faut l’étudier. Mettre en boîte, étiqueter. Disséquer, tuer. Or, ce mal dont souffre le criminel rejoue dans un corps plus petit le mal qui sous-tend l’édifice nazi : comme l’a bien montré à une autre époque Robert Burton dans Démocrite Junior à son lecteur, les troubles politiques dont souffrent les royaumes sont analogues à ceux dont souffre le corps humain. Et la juxtaposition des deux échelles – celle de l’enquête de police, celle de la Seconde Guerre mondiale – offre au spectateur un tableau saisissant de l’Allemagne en 1944, à quelques mois de la chute de son régime politique. Un très grand film au propos brûlant et à l’imagerie magnifique.