Il n'y pas de spoiler dans cette critique mais disons que si vous avez lu le synopsis vous n'en saurez pas plus que ce à quoi il sous-entend, c'est à dire :

à un homme Français et une femme Afghane qui vont devoir affronter en plus de la froideur de la montagne, l'envie de tuer du migrants de la part de fascistes.

(Ce n'est pas un spoil, c'est pour éviter aux gens qui ne veulent absolument rien savoir de tomber sur l'intrigue)



Ce que j'aime avant tout avec cette nouvelle génération française c'est cette envie de mettre le genre au cœur du récit. Dans le sens où souvent en France, on se sert du genre pour le rabaisser et montrer qu'on est plus intelligent qu'un bête polar, film d'horreur, comédie etc. Mais généralement ça donne de mauvais film car seul le sujet intéresse ceux qui le font, trouver le genre de sa propre œuvre bête n'aide pas à la rendre plus profonde.

Ici le sujet, la chasse des migrants, est le moteur du film. Ça donne l'impulsion pour créer de la tension, du suspense, et permettre à ses personnages d'exister. La force de cette manière de faire sur des sujets aussi politique c'est que ça impose la vision du réalisateur, ça bloque le débat.

Ici, on n'est pas là pour donner la morale sur la chasse au migrant, les fascistes qui partent à la chasse d'êtres humains sont les méchants du film, point final. Il n'y a pas de nuance à chercher dans ce type d'actes meurtriers.

L'intérêt de ce type de représentation c'est qu'elles sont radicales. Si on veut voir les nuances qui peuvent créer de la haine au point de partir tuer des êtres humains, c'est un autre type de film qu'il faut aller voir (Le Ruban Blanc, Le conformiste, R.M.N, Munich, Starship Troopers, quasi tous les films sur la guerre du Vietnam etc, vous n'avez qu'à piocher). Je cite beaucoup de film de guerre mais en même temps, qui irait contredire de mettre des nazis comme antagonistes indéniables d'un film à part Kanye West ? Je pense qu'on peut se dire que des chasseurs d'hommes peuvent entrer dans cette catégorie facilement.

Tous les outils autour du réalisateur servent la fuite de ses protagonistes. Mais est-ce qu'elle est bien cette fuite alors ?

Oui, grâce à son épure du scénario qui lui permet de se concentrer sur une relation quasi muette entre ces deux personnages et d'aller à l'essentiel, que ça soit lors des scènes avec de la chaleur humaine ou de violence glaciale.

J'aime assez quand un film n'est pas subtil sur des détails pour offrir une efficacité bienvenue. Ne vous attendez pas a une relation père-fille très profonde, elle n'est là que pour caractériser rapidement Samuel (Denis Ménochet), de la même manière que la scène d'introduction caractérise en 1 plans la situation et la faculté d'adaptation de Chehreh (Zar Amir Ebrahimi) qui subissent chacun une violence qui leur est propre.

Au bout de 10 min, le film est lancé et ne s'arrêtera plus, et c'est ultra efficace. Pas sans lacunes mais je garde ça pour la fin. Une violence des antagonistes de plus en plus grandes pour une réponse de plus en plus extrême. Encore une fois, l'épure permet cette grande ligne droite et cette tension constante.

À l'opposé de ces plans drones déshumanisant lors de leur progression dans la neige, comme observé par un œil privé de vie, on est souvent très proche des deux personnages. On entend leurs souffles, et on ressent leurs souffrances, jusqu'à la neige qui durcit au fur et à mesure du trajet. Ça permet aussi de mettre à égalité des violences disons bestiales et d'autre systémiques.

Il y a deux plans-séquence (2 plans longs en réalité) qui sont miroirs et met en parallèle l'envie de tuer des fascistes et les violences policières. Elles sont toujours présentes. Elles justifient non seulement que Samuel et Chehreh n'appellent jamais la gendarmerie, mais également indique simplement que cette violence anti-migrante est bien plus présente et grande que ce que ne peut le montrer le film en 1h30. C'est radical, puissant et porte un discours, certes antifasciste assumé (et les profascistes , relisez vos cours d'histoires) et très peu subtile, mais les nuances se trouvent dans ces deux protagonistes et comment la mise en scène va les réunir, la justesse de leurs interactions. Car c'est ce qui intéresse la caméra de notre réalisateur.

Passons aux défauts des Survivants, principalement de mise en scène des extérieurs. Sans dire que c'est mal fait, ça manque d'identité et surtout de sentiment de progression.

C'est dû que, avant l'acte final, on ne sait jamais où on en est de leur trajet, on n'a aucun point de repère visuel. La répétitivité formelle va se retrouver dans la dureté de leur avancée qui va par conséquent être toujours pareil. Ce qui fait de ces instants d'avancées dans la neige de simples virgules dans ce film qui n'en avait pas besoin. Surtout quand on veut que la nature semble hostile. Ça fonctionne car elles restent laborieuses et j'ai parlé notamment de la neige qui durcit par moments mais le côté mortel du froid n'est vraiment visible que quand les personnages se réchauffent. Et le manque de précision de ces scènes d'extérieur font que j'ai finalement moins peur pour eux dans ces instants-là. Le film revendique une tension permanente, il est dommage de ne la voir réellement que dans les scènes de pauses ou d'affrontements (qui sont souvent liées). Heureusement ces scènes sont assez courtes pour ne pas faire complètement retomber la tension et restent une souffrance pour nos héros. Je peux aussi rajouter que ça n'est pas très agréable d'avoir la sensation d'avoir déjà vu un même plan à 30 min d'intervalle. Pire, j'ai eu plusieurs fois l'impression, à cause de la mise en scène, qu'ils étaient arrivés à la fin de leur périple.

Je finis par les points négatifs mais en soi je trouve que pour un premier, film Guillaume Renusson s'en sort extrêmement bien. Quand bien même les scènes extérieures si elles avaient été moins imprécises auraient permis au film de passer un gros cap de maîtrise, la force des autres scènes (et au-delà des réserves que j'ai donné, les scènes extérieur restent bonnes, c'est le manque de progression que je critique) permettent au film de tenir en haleine pendant 1h30.

Denis Ménochet est fascinant à observer dans une retenue qui lui permet de composer des personnages troubles à l'image du récent As Bestas, Zar Amir Ebrahimi est toujours au top (Les Nuits de Mashhad est très cool à voir, entre autres pour elle). Je ne peux pas dire que le jeu des fascistes me transcende, particulièrement Victoire Du Bois que je n'aimais déjà pas dans Marianne, mais quelque part on leur demande d'être des méchants et c'est tout. Ce n'est pas si dérangeant lors du visionnage.

Si je devais chipoter je dirais qu'il y a une petite scène de trop, voir un épilogue pas vraiment nécessaire. Mais pour voir un beau 1er film, tendu, qui perturbe par sa forme et impose ainsi sa vision sur son sujet, faut pas hésiter. Le suspense n'oublie jamais l'émotion. Les scènes d'explosions portent bien ce nom, la tendresse ne détonne jamais car progressive (le retour de ce joli mot pour la 98ème fois), encore un jeune réal français à suivre qui remet le genre au cœur des films pour raconter les trucs qu'ils veulent de la manière qu'ils veulent; coucou Vincent Le Port, Just Philippot ou encore Guillaume Pierret dans ceux que j'apprécie, et j'espère en voir d'autres arriver.

Aldup
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le 6 janv. 2023

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