Trois Samouraïs hors-la-loi est le premier film réalisé par Hideo Gosha. Sous certains aspects, il est possible d’affirmer que la film est à la fois un chanbara (un film de sabre japonais mettant en scène des samouraïs) et un film social.


Trois Samouraïs hors-la-loi est donc avant tout un film d’action parfaitement réussi. Alors qu’il a une durée relativement courte (95 minutes), le film est doté d’un scénario (écrit par Hideo Gosha lui-même) complexe et riche en rebondissements. Trois Samouraïs hors-la-loi réunit certains des codes du genre : les duels au katana, l’annonce d’un grand combat final qui tient largement ses promesses, le personnage du samouraï errant et l’antagoniste cruel. Le scénario fait alterner scènes d’action et scènes plus dramatiques avec une remarquable science du rythme : la tension dramatique va crescendo et le spectateur est, comme les personnages, constamment sous tension. Enfin le film dégage une violence crue qui peut être assez impressionnante, que ce soit lors d’une scène où un des personnages est fouetté, ou pour la mort de certains personnages secondaires.
Cela est dû à une mise en scène qui maîtrise ses effets. Les cadrages sont parfois originaux, obliques. Le noir et blanc laisse beaucoup de place aux ombres, aux ténèbres. Hideo Gosha emploie souvent des gros plans qui scrutent les visages en souffrance ou montrent le sang s’écoulant d’une plaie mortelle. Mais surtout, Trois Samouraïs hors-la-loi bénéficie d’un montage sec, nerveux, voire brutal, qui laisse parfois le spectateur estomaqué. Si l’esthétique habituelle des duels de sabres est respectée, la qualité visuelle ne masque jamais la violence des échanges, mais les met en pleine lumière. Comme si chaque coup de sabre nous était destiné. Comme si chaque agonisant expirait en nous regardant dans les yeux.


Alors, certes, Trois Samouraïs hors-la-loi respecte le genre du chanbara. Mais nous sommes en 1964. Presque dix ans après Les Sept Samouraïs de Kurosawa. Deux ans après Harakiri, de Masaki Kobayashi. Faire un chanbara traditionnel, comme ce qui se faisait quinze ans plus tôt, n’est plus guère possible. Aussi le film de Hideo Gosha bouleverse certains des codes du genre.
L’une des originalités du film se situe dans la psychologie des personnages. Si l’antagoniste, l’administrateur Matsushita, reste invariablement le méchant, et si le rônin Sakon Shiba reste, lui aussi, ferme dans ses décisions, les autres personnages se caractérisent par leur volubilité. Les samouraïs du film de Hideo Gosha ne sont plus guidés par le respect absolu de leur code d’honneur, mais par des considérations toutes personnelles. D’ailleurs, ce code d’honneur est foulé aux pieds par Matsushita lui-même. C’est donc la morale personnelle, le for intérieur, qui décide des actions menées par les personnages.
De plus, les samouraïs sont décrits comme de pauvres hères vagabondant à la recherche d’un toit et de nourriture. Sakura préfère être en prison, car là au moins il est logé et nourri. Kikyo, quant à lui, s’est vendu à l’administrateur Mastushita contre le confort d’une vie bien réglée. Au fil du film, on va les voir tiraillés entre leur éthique et le souci du confort. Sakon Shiba est là en contrepoint, reprenant la figure presque classique du samouraï qui donne sa vie pour une cause juste sans hésiter un seul instant et sans dévier de sa route.


L’autre intérêt de ce film est son aspect social. L’action du film montre une révolte paysanne contre l’administrateur, accusé d’accabler les agriculteurs de taxes. Le film de Hideo Gosha met en évidence la hiérarchie stricte qui structure la société nippone. Les classes sociales sont complètement cloisonnées. Aya, la fille kidnappée, ignore tout de la vie des paysans.
Et au milieu se trouvent les samouraïs. Dans cette hiérarchie sociale cloisonnée, les rônins ont deux attitudes possibles. Soit ils protègent l’ordre social, aussi injuste soit-il, et confirment ainsi ce cloisonnement hermétique entre les classes sociales. Soit ils décident, par l’aide qu’ils apportent aux paysans, de changer les choses. De faire tomber les cloisons. Et si cela semble sans effet sur l’administrateur Mastushita, ce n’est pas le cas en ce qui concerne sa fille, bien qu’elle fût victime d’enlèvement par ces mêmes paysans.
En bref, il est possible d’affirmer que Trois Samouraïs hors-la-loi est un grand film d’aventures et d’action doublé d’un intense drame politique qui présente de façon désabusée la situation sociale nippone.


Article initialement paru dans LeMagDuCiné

SanFelice
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 16 août 2021

Critique lue 346 fois

26 j'aime

SanFelice

Écrit par

Critique lue 346 fois

26

D'autres avis sur Les Trois Samouraïs hors-la-loi

Les Trois Samouraïs hors-la-loi
oso
9

A l'ombre des lames

Certains réalisateurs ont ce petit plus qui les démarquent du reste du monde. Gosha, dès son premier film, imprimait sur bobine ce coup d’œil acerbe qui a depuis fait sa réputation. Une sensibilité...

Par

le 23 nov. 2014

35 j'aime

Les Trois Samouraïs hors-la-loi
Docteur_Jivago
8

L'ombre envahissante

Lorsque des paysans décident de montrer leur mécontentement et de se révolter contre le seigneur local, ils kidnappent la fille de celui-ci et seront bientôt rejoints par un rônin de passage. C'est à...

le 3 janv. 2016

29 j'aime

9

Les Trois Samouraïs hors-la-loi
SanFelice
8

Critique de Les Trois Samouraïs hors-la-loi par SanFelice

Trois Samouraïs hors-la-loi est le premier film réalisé par Hideo Gosha. Sous certains aspects, il est possible d’affirmer que la film est à la fois un chanbara (un film de sabre japonais mettant en...

le 16 août 2021

26 j'aime

Du même critique

Starship Troopers
SanFelice
7

La mère de toutes les guerres

Quand on voit ce film de nos jours, après le 11 septembre et après les mensonges justifiant l'intervention en Irak, on se dit que Verhoeven a très bien cerné l'idéologie américaine. L'histoire n'a...

le 8 nov. 2012

257 j'aime

50

Gravity
SanFelice
5

L'ultime front tiède

Au moment de noter Gravity, me voilà bien embêté. Il y a dans ce film de fort bons aspects, mais aussi de forts mauvais. Pour faire simple, autant le début est très beau, autant la fin est ridicule...

le 2 janv. 2014

221 j'aime

20

La Ferme des animaux
SanFelice
8

"Certains sont plus égaux que d'autres"

La Ferme des Animaux, tout le monde le sait, est un texte politique. Une attaque en règle contre l'URSS stalinienne. Et s'il y avait besoin d'une preuve de son efficacité, le manuscrit ne trouvera...

le 29 janv. 2014

220 j'aime

12