Discours/ traité de divagation sur la comédie française, du président sortant Emmanuel Marcon pour la passation de pouvoir à Jeff Tuche
« Madame, Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président du Conseil du cinéma français,
Messieurs et Mesdames les Députés et Sénateurs de la passivité,
Monsieur le Président de l’Association des "bœufs" de France,
Mesdames et Messieurs les Élus de la bêtise,
Mesdames, Messieurs, les incrédules,
Au seuil d’une année où le crépuscule sera celui des Hommes, j’ai bien conscience de la tâche qui m’incombe. Sortir pour ne jamais revenir. Abandonner mon pays pour le laisser aux mains d’un incapable aux mots de facétie. A ce moment où les Français ont décidé d’accorder leur confiance et leur avenir à la frite et au rire, je me retire sans les honneurs et le cœur en pleurs : l’image d’un quinquennat où l’ambition de redresser ma douce France n’aura été que le germe d’un cauchemar sans réveil et sans gloire. Celui que vous vous êtes vous-même imposé, cette responsabilité du moment présent, commune et déterminante, face à un président du ras-le-bol, qui deviendra bien trop tôt le président de la dégénérescence.
Le seuil de l’irréversible a été franchi. Les événements cinématographiques s’intensifient et se multiplient. Un cinéma qui se perd dans l’injustice de son box-office. La France l’a vécu, et le vit encore. Plusieurs d’entre vous l’ont aussi vécu ces derniers mois ou ces dernières années. Des œuvres qui envahissent les écrans, écrasent les meilleures productions pour ne laisser que de l’artificiel et de la misère dans la mémoire des spectateurs ordinaires. Les équilibres de la planète sont prêts à rompre, comme le traduisent le réchauffement des clichés ou la disparition de nombreuses œuvres menacées. L’ensemble de l’humanité est ainsi touché, en particulier les populations les plus vulnérables, des provinces populaires qui savourent encore le déjà-vu et le rire sous vide. Car le dérèglement des goûts et des choix de tickets ajoute l’injustice à l’injustice, ajoute de l'imbécillité à la pauvreté d’esprit. Il touche en particulier ceux qui sont déjà les plus fragiles. Ces adeptes de blagues conformistes usant de la vulgarité pour combler le manque d’originalité. En cela, la lutte contre le dérèglement cinématographique est bien l’un des combats majeurs de notre temps.
Martin McDonagh m’a un jour conté l’histoire d’une « vache au vent pris au piège ». Une vache énorme, dont le ventre remuait tel un matelas à eau qui ne cesserait de s’agiter. Un fermier prit alors un tournevis et le planta dans le renflement de la vache. Celle-ci dégonfla pour laisser sortir une émanation. Le fermier sortit son briquet et l’alluma pour transformer ce gaz en une puissante flamme. Mais la flamme retourna dans le ventre de la vache, qui explosa. Sa carcasse se dispersa en d’infimes morceaux sur son audience. Des morceaux semblables à cette dérive de la comédie française : à trop vouloir poignarder un genre pour allumer son gaz d’une flamme de clichés et de stupidité, le genre explose. Et même si Les Tuche 3 n’est pas ce briquet révélateur, l’ère de la post-explosion est déjà là. Une saga qui chaque jour, chaque semaine, chaque année, s’essouffle pour ne laisser que des résidus, des déchets dans lesquels se trouve parfois une pépite noyée dans le flux conséquent et exécrable d’un cinéma à la chaîne et au rabais.
Complet. Un mot. Un succès. Une réalité. Celle d’une salle de cinéma, de son public, et d’un pays. Une France, qui comme son gouvernement, tente d’avancer dans une époque où tout vacille. Les idéaux, l’intelligence, la société, la qualité. Des mots perdus dans le passé comme un avenir absent de ce « Complet ». Oui, la France se regarde aujourd’hui dans un miroir. Les Tuche pointe du doigt cette France de l’inactivité, de l’inaction, cette France du laisser faire, de la passivité et de la bêtise. Les Tuche incarne ce déclic nécessaire pour une société qui ne demande qu’à changer. Se lever, et faire bouger les choses, pour ne pas devenir cette image bœuf, réelle et miséreuse d’une France qui a jadis connue la grandeur. Car moi aussi, j’ai ri. Face aux traits, à l’accent, à la personnalité, à la caricature, à l’exploration d’un cliché cachant sous son artificielle paresse, un cœur et un optimisme comme impulsion d’une France ayant perdu foi en son identité.
Une identité à retrouver, à intégrer et à exploiter. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le président qui vous parle, mais le spectateur, désillusionné. Déçu de ne pas voir se développer le cynisme et le rire sur l'époque contemporaine « abêtissante » et cette réelle dérive du pouvoir. Des promesses absentes d’un concept inexploité, pour un sens de la comédie qui se perd dans la bassesse et la facilité. Des clins d’œil politiques bien trop sages pour faire rire, ne serait-ce que pour un attaché parlementaire ou une chancelière, et un second degré bien trop lourd pour susciter de l’intérêt. Préférer aux conséquences de la paresse, de l’inaction et de la Tucherie, l’incohérence et le dévoiement de son intrigue : d’une jeunesse à dépuceler à une grossesse désirée, le président relaie son incompétence au placard, là où le rire et la force comique étaient déjà séquestrés. Les Tuche avait ma sympathie, Les Tuche 3 n'aura que mon oubli. Le bâclage des grandeurs. Croyez-moi une dernière fois : Jeff Tuche n’est pas la solution. On ne guérit pas la maladie en provoquant son virus.
Car j’ai entendu vos colères, vos indignations. Ce combat conjoint qu’est le nôtre, de cesser de s’indigner derrière des mots et d’agir par des unions, des refus et des actions. De cet abandon des élites aux populismes naissants, de ces votes à rejet à la distraction populaire, vous me l’avez fait entendre d’une voix claire et hurlante : ce que je vous proposais n’étaient à vos yeux que de la poudre de perlimpinpin. Vous vouliez cet impossible retour à la normalité ? Vous n’aurez que des regrets et des incapacités. Celles de faire face au pouvoir déclinant d’une nation jadis florissante, et de revenir sur votre comportement de vote, aussi défaillant que l’homme qui s’apprête à monter ces marches du pouvoir. Ecoutez-Moi ! Ce n’est plus notre projet.
Mais qui sommes-nous pour juger d’une telle pratique ? Des intellectuels, des cinéphiles, des visionnaires,… des minoritaires. Des personnes qui s’indignent sans actes ni démarche. Critiquer la passivité par la passivité. Nous ne sommes personne, mais nous pouvons le devenir. Nous n'avons donc qu'une obsession : l'action ; nous n'avons qu'un horizon : c'est maintenant. Menons ensemble une politique volontariste à la poursuite de demain, pour que la comédie française retrouve sa grandeur et son rayonnement international.
J’attends de vous, citoyens et spectateurs, que vous continuiez à entreprendre, à créer, à innover, à faire de chaque instant, une œuvre de passion et de renouvellement. Oui, il ne faut pas laisser la morosité et l’indifférence faire du cinéma un lieu de banalité et d’insignifiance. Questionnez-vous ! Analysez ! Revendiquez ! Découvrez ! Le cinéma s’est un jour offert à vous, pour un rire, pour un sourire, pour une larme ou pour un cœur à chaud. Cherchez-le ! Car c’est parce que vous y croyiez à ce moment-là, c’est parce qu’ils ont cru en vous, c’est parce qu’à un moment ils ont senti cette volonté, cette envie farouche de faire, de créer un rire qui surpasserait l’instant pour l’inscrire dans la mémoire, le collectif et le souvenir. C’est cette envie farouche de faire que je veux récompenser et accompagner, pour ne plus avoir à m’indigner d’œuvres à pertes et à oubli.
Une ère nouvelle s’ouvre à vous. Reste à faire le choix de la qualité plutôt que celui de la futilité. Pensez au pays qui a vu naître Les Tontons Flingueurs, les Louis de Funès et autres OSS 117 ! Nous sommes à l'orée d'une extraordinaire renaissance. Nous nous battrons sur les pages, nous nous battrons sur les terrains de tournage, nous nous battrons dans les cinémas et sur les blogs, nous nous battrons dans chaque critique pour repousser le manque d’ambition d’une pellicule à l’abandon ; nous ne nous rendrons jamais face à la menace de déclin du cinéma français. Mes chers amis, puisse le tumulte du monde ne pas abîmer ce que vous avez construit ensemble sous l'ombrelle de notre République. Je vous remercie et bonne chance.
Vive la France, et puisse la République ne pas sombrer dans la tyrannie de l’imbécilité. »