Court métrage d’études de Tarkovski, Les Tueurs est l’occasion de voir l’un des très grands réalisateurs faire ses armes.


Les consignes imposaient un tournage uniquement en intérieur, un nombre réduit de personnage et une intrigue dramatique. La nouvelle d’Hemingway, si propice à une tension immédiate dans un espace clos, était donc idéale ; son potentiel cinématographique avait déjà été exploité par Siodmack en 1946 (Les Tueurs), et le serait à nouveau par Don Siegel en 1964 dans A bout portant.


Il faut évidemment de l’indulgence pour appréhender un travail porté à bout de bras par des étudiants chargés de l’intégralité du projet, des décors à la lumière, en passant par les rôles endossés par les apprentis-cinéastes eux-mêmes, (jusqu’à un cuisinier noir en blackface du plus mauvais effet).


Mais l’essentiel est atteint : la tension souhaitée est bien présente, grâce à une exploitation de l’espace mûrement réfléchie. Le zinc, filmé sous différents angles, confère une domination croissante aux deux tueurs venus attendre leur victime, et les longs silences imposés, déjà, par Tarkovski, contribuent à alourdir l’atmosphère.


Afin de dynamiser son premier lieu unique (le film sera réalisé en trois tableaux, le second n’étant pas dirigé par Tarkovski), le réalisateur le découpe de manière habile : grâce à un miroir (déjà, aussi…) et surtout un passe plat qui crée une lucarne par laquelle le deuxième tueur communique avec le premier : tout l’espace est contaminé de leur présence, et le patron du restaurant ne peut que faire preuve d’une présence passive et impuissante.


Au-delà de ces aspects formels, et du fantasme un peu juvénile d’une Amérique en pleine dépravation, le récit vaut également pour les portraits humains qu’il dévoile, et on peut aussi déceler ici des obsessions qui traverseront toute l’œuvre du futur cinéaste : il s’agit avant tout d’un film sur l’attente, et sur l’attitude de l’homme face à la fatalité. La manière dont la future victime, avertie du sort qui l’attend, assène qu’il est trop tard et qu’ « il n’y a plus rien à faire » en refusant d’agir renvoie est patente : elle pose les jalons d’une réflexion sur la destinée et les capacités de l’homme à agir en dépit de la violence d’un monde inhospitalier : autant d’éléments qui trouveront leur aboutissement dans les longs métrages du maître russe.

Sergent_Pepper
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le 10 avr. 2018

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Sergent_Pepper

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