Le dernier polar noir du très talentueux Steve McQueen, "Widows", est adapté de la série britannique éponyme diffusée dans les années 1980. A Chicago, une équipe de braqueurs dirigée par Harry (Liam Neeson) trouve la mort dans l’explosion de leur fourgon suite à une course-poursuite avec la police. La veuve de Harry, Veronica (Viola Davis) est menacée par Jamal Manning, un politicien/mafieux local auprès duquel Harry était endetté. Elle doit alors réunir la somme d’argent astronomique partie en fumée avec son mari sous peine de tout perdre, peut-être même la vie.
Veronica se met alors à la recherche des autres veuves des défunts braqueurs, dans la tourmente financière, pour les convaincre de mener à bien le prochain casse prévu par Harry et son équipe. Cette trame de thriller se déroule sur fond d’affrontement politique entre l’afro-américain Jamal Manning et la dynastie des Mulligan dont le dernier rejeton, Jack (Colin Farrell), également lié à Harry, tente de faire main basse sur la mairie d’arrondissement.


Le film de McQueen est avant tout un vaste constat amer sur les États-Unis, et sur Chicago : politiciens locaux pourris et sans idéaux, condition précaire des femmes prolos après la disparition de leurs maris violents/inconstants, racisme et violence policière. Le problème, c’est que l’intrigue principale comporte déjà beaucoup de ramifications, et que traiter finement et brillamment de toutes ces questions sans rendre le propos confus et indigeste aurait nécessité un format plus long, à l’image de la série d’origine.
Les premières scènes du long-métrage nous happent pourtant totalement. La course-poursuite en plan séquence entre les cambrioleurs et la police, vue depuis l'intérieur du fourgon, est particulièrement immersive. De même, les premiers échanges entre les politiciens pourris instaurent une atmosphère inquiétante et malsaine, caractéristique de la ville que veut nous dépeindre le réal. Les personnages féminins sont bien écrits, crédibles et touchants dans leur détermination et, parfois, dans leur résignation. J'ai personnellement trouvé le personnage d'Elizabeth Debicki (Alice), contraint de devenir escort girl pour subvenir à ses besoins, incroyable de justesse et de charisme, d'autant plus qu'il permet d'amener la thématique du mépris de classe au sein d'une équipe exclusivement féminine. L'excellent Daniel Kaluuya (« Get out »), interprétant le frère ultra-violent de Jamal Manning, est terrifiant de froideur et de brutalité.
Le tout baigne dans une sauce de réalisme urbain très terre à terre, pourtant couplée à une réalisation classieuse, voire virtuose...voire tape à l’œil. Et, petit à petit, la beauté de la forme se substitue malheureusement à la cohérence et à l'intérêt du fond. Les segments mettant en scène les veuves semblent de plus en plus déconnectés de ceux centrés sur le personnage de Colin Farrell, tiraillé entre le cynisme propre au monde de la politique et la volonté de se démarquer de son paternel castrateur et tyrannique. Sauf que ce qui s'annonçait à première vue comme un enchevêtrement intelligent et équilibré d'intrigues complémentaires se transforme progressivement en une compilation de digressions sociétales mal intégrées à l'intrigue. Sans trop spoiler, les flash-backs dépeignant la relation entre Veronica et Harry finissent par nous amener sur le terrain de la violence policière et du racisme systématisé aux États-Unis, et cette scène seule est sensée justifier des retournements majeurs dans l'intrigue principale. Sauf que c'est trop peu et vraiment grossier à la vue des ambitions initiales du film.
Parasitée par trop de ces digressions, la trame principale est rushée et perd en intensité. Outre le retournement vraiment inutile et énervant, les personnages, à la psychologie jusqu'ici bien étudiée, agissent de manière vraiment peu crédible. Les veuves acceptent en effet bien trop vite de marcher dans le coup d'une Viola Davis pourtant peu rassurante. Du coup, lorsque la fameuse scène tant attendue du casse arrive, on y croit qu'à moitié et on se sent moins concerné.


Pour résumer, « Widows » est un film réalisé avec les meilleures intentions, mais qui s'essouffle du fait du jusqu-au-boutisme malvenu de McQueen, qui transforme un thriller intense porté par des personnages forts en un pot-pourri confus et boursouflé des vices de la sociétés américaine, couplé à un twist plus que dispensable. Et c'est d'autant plus dommage que certains sujets sont traités brillamment, notamment le versant politique qui, s'il n'avait pas été si déconnecté du reste de l'intrigue, aurait pleinement fonctionné. De même, les rapports entre Veronica, la veuve riche, et les autres femmes plus modestes, soulèvent des questions peu abordées par le cinéma. Il est également bienvenu que McQueen s'emploie à briser certains clichés du film de gangsters classique (le couple mixte, les politiciens afro-américains aussi corrompus que les blancs...).
Reste une première moitié de film excellente, une réalisation entre virtuosité et formalisme vain, des actrices et acteurs au sommet de leur art (à part une Viola Davis étrangement monolithique).

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le 1 déc. 2018

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Mr_Step

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