Une forte émotion samedi soir, au Forum des Images, dans le cycle consacré à la Quinzaine des Réalisateurs, avec le film "Les vies de Thérèse", de Sébastien Lifshtz. A la fin de la projection, le prix Queer Palm lui a été remis, également attribué à Thérèse (décédée en Février 2016) dont trois de ses enfants étaient présents pour le recevoir.
Ce documentaire, sélectionné pour la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes version 2016, c'est une "commande" de Thérèse Clerc, dont le portrait figure dans le précédent film de Sébastien Lifshtz, Les invisibles (2012). Thérèse, atteinte d'une maladie qu’elle savait irréversible, lui a demandé de filmer cette dernière étape de sa vie.
Figure connue et reconnue du féminisme militant, ayant combattu pour l'égalité entre les hommes et les femmes, le droit à l'avortement, les luttes pour les droits des homosexuelles..., Thérèse s'expose ainsi, dans son lit, voulant par là poursuivre ses combats notamment autour de la vieillesse et de la mort dont on a tellement de mal à parler. Comme avec Babayagas, "l'anti-maison de retraite" dont elle est à l'origine, c'est en quelque sorte une contribution à la réflexion sur la vie citoyenne du troisième âge.
Le grand mérite de Sébastien Lifshtz c'est d'avoir accompagné Thérèse et su l'écouter, mettant à son service cette disponibilité d'un réalisateur qui accepte de rendre compte sans voyeurisme ni expositions ou exposés inutiles de l'approche de fin de vie.
Le fil conducteur du récit ce sont les échanges émouvants de vérité et de mémoires des quatre enfants de Thérèse autour d'une table. Chacun a eu la même maman, et ils l'ont vécu différemment. Découvrant et apprenant autrement Thérèse, qui partageait sa combativité, sa générosité, ses convictions avec tous les visiteurs, les amis, les voisins, les connaissances qui trouvaient chez Thérèse à Montreuil, en Seine St Denis, un lieu, un refuge, une université de vie.
C'est le propre des familles nombreuses, entre l'aîné et la petite dernière, les parents changent, leurs priorités se modulent, les plus grands transmettent aussi aux plus petits, d'autres versants que ceux des parents. Les idées se mettent ainsi en marche, les séparations structurent le cadre de vie, les ruptures construisent d'autres horizons. Et tous les quatre et chacun explicitent l'endroit d'où leur regard et leur vécu nourrissent leurs souvenirs. Depuis le décès de Thérèse «la fratrie est immensément triste et unie» dira ce soir-là Agnès, la fille cadette, sachant que leurs «tempos» sont et restent singuliers!
C'est à partir du dialogue des enfants que le récit s'articule et s'élargit, avec des nombreuses images d'archives car, d'une certaine manière, le parcours de Thérèse s'identifie et illustre aussi les années qu'elle a traversé et le contexte politique et social d'alors. Comme si Les vies de Thérèse étaient simplement La vie et les multiples facettes, faites de joies, d'enthousiasmes, de réussites, de ruptures, de contradictions, de doutes, de combats, de créations, d'ajustements, d'alerte permanente aux réalités de son temps! Le récit d'une femme qui a su transmettre son engagement dans la vie.
Pour Sébastien Lifshtz «faire un documentaire c'est aussi filmer une relation». Et nous percevons avec discrétion, et dignité, cette camera qui caresse en images le beau visage de Thérèse Clerc, ayant su saisir des séquences sublimes de sérénité pendant son sommeil.
Les vies de Thérèse, au-delà du témoignage et de l'hommage, c'est un film qui nous apprend, tel le vœu de Thérèse, quelque chose de la vieillesse et de l'interrogation «c'est comment la mort?», dont chacun de nous, à un moment ou à un autre, est confronté. Merci Thérèse pour cette parole présente jusqu'au bout, merci Sébastien de nous l'avoir apporté.
* https://blogs.mediapart.fr/arthur-porto/blog/050616/les-vies-dans-la-vie-de-therese