Les Visiteurs est une comédie assez unique car à la croisée de plusieurs genres cinématographiques : le film de costume médiéval, la comédie enlevée et loufoque aux personnages burlesques, et le fantastique. L'ensemble de ces éléments est finalement le résultat de la mystérieuse potion du mage Euzebius capable de faire voyager les hommes dans les couloirs du temps, dans le futur ou le passé et en modifier la trame. Entre Robin des Bois, Retour vers le Futur et Le Pere Noel est une Ordure.
Le ton est d'ailleurs oscillant : tantôt film médiéval d'aventure enlevé, musique noble et new-âge (simili mystico-médiévale) et classique (la BO d'Eric Lévi dit tout du mélange des genres du film et est excellente), costumes crédibles, décor classieux (cité médiévale de Carcassonne), mise en scène cape et épée, tantôt un enchainement de facéties et de blagues lourdaudes, et parfois même des scènes plus sombres et étranges ou des plus romantiques et sentimentales. C'est certainement la grande force du film, qui, fort de ces registres différents, tant dans le style et dans le ton, parvient à en sublimer l'art comique.
Ainsi, le film commence par une bataille entre Anglais et Français, puis par l'adoubement d'un chevalier par le roi de France qui lui offre une des plus belles princesses du Royaume en "espousailles". Et soudainement, par le truchement du fantastique, une sorcière maléfique arrêtée par le preux chevalier, dans une scène inquiétante, qu'on croirait sortir d'un obscur conte médiéval, vient troubler le chevalier qui tue son futur beau-père car victime d'hallucinations. Pour se racheter, le chevalier convoque un mage qui l'envoie dans le passé pour réparer sa faute. Mais voilà, le vieux magicien qui "gatouille" a "ommis les oeufs de caille". La potion est ratée. Voici le chevalier et son écuyer en 1990. Et tout commence, et tout dérive.
Car le liant est évidemment le rire. Le film est un condensé de scènes cultes, tellement françaises, presque franchouillardes par moment, qu'on ne peut que rire aux éclats, devant la flopée de personnages ridicules, de gueules pas possibles, de costumes kitsch à souhait, de Godefroy à Jacquouille, en passant par Jacquart et le docteur Goulard, sans oublier "dame Ginette" et la "Béatrice de Montmirail", respectivement incarnées par Marie-Anne Chazel et Valérie Lemercier, excellentes ; chaque protagoniste ayant des petits moments et des répliques qui font mouche. Bien entendu, le rire est issu de ce condensé de registres et de genres, bien au-delà des personnages, car confronter un chevalier et son écuyer à l'époque contemporaine ne peut que conduire à des situations burlesques. La scène la plus célèbre du film est évidemment lorsque Jacquouille, cultissime Christian Clavier, croise la route, littéralement, d'une camionnette de la poste, et hurle "Un sarrasin" en voyant le postier noir émerger du véhicule avant d'attaquer "la chariotte ferrée" à coups de bûche. Le film est ensuite une succession de scènes d'anthologies ("jour/nuit", les toilettes...), toutes aussi impossibles les unes que les autres par cette tonalité fantastique. Le duo Clavier/Reno, Laurel et Hardy en somme, l'un ridicule, l'autre qui se prend au sérieux, fonctionne parfaitement et le rapport seigneur/courtisan est aboli par la complicité nécessitée par la situation improbable. Le film jouera d'ailleurs de ce rapport maitre et esclave tout au long de l'intrigue. Le rire passe évidemment par le décalage du vocabulaire, et le chapelet de répliques drolatiques. Le vocabulaire, semi-fictif, semi-médiéval, employé par les deux héros étant un perpétuel moyen de rire de bon coeur : "tiens la gueuse", "debout maraud !". Certaines formules sont même joliment inventées : "Sire, je suis votre éternel abonné". Le film par ailleurs sait aussi faire dans la satire sociale, tapant sur l'ensemble des personnages du film, tout aussi ridicules les uns que les autres, les grands bourgeois, les aristos, les gueux. Tous égaux au banquet du rire, tous bouffons du roi. On est parfois dans le mauvais goût et le film manque assurément de finesse par instants, sans importance, car son comique repose d'abord sur les situations.
La mise en scène, rapide, le montage presque gimmick, la surabondance de placements produits qui participent de cette ambiance pop, les gros plans, les effets spéciaux (les transformations des protagonistes) de Jean-Marie dynamisent l'ensemble. Par ailleurs, comme déjà dit, les scènes médiévales demeurent crédibles, et même dans ce qu'elles ont de loufoques, sentent le film d'époque. C'est la force du film, c'est qu'il singe des genres, les mêle et le fait bien.
Les Visiteurs a marqué une génération. 5ème plus grand succès du cinéma français. Casting hallucinant. Film ayant gagné un cachet au fil des ans. Les suites en seront indignes, toujours plus indigentes, dans la pâle redite. L'idée originale est tellement excellente, tellement à part, hors des clous, qu'elle ne pouvait qu'être unique. Le film ne tient que par cet improbable mélange de surréalisme franchouillard (la scène du diner), le délire d'un moment, fusionnant le gothique et le baroque. Godefroy de Montmiral Amaury de Malphette, comte d'Apremont et de Papaincourt, chevalier des temps moderne.
Où sont les poulardes ? J'ai faim ! Où sont les veaux, les rôtis, les saucisses ? Où sont les fèves, les pâtés de cerf ? Qu'on ripaille à plein ventre pour oublier cette injustice ! Y'a pas quelques soissons avec de la bonne soivre, un porcelet, une chèvre rôtie, quelques cygnes blancs bien poivrés ? Ces amuse-bouche m'ont mis en appétit.