La vérité selon la fiction
J'ai beau ne pas être partisan des émissions de télé réalité, il faut bien admettre que l'homme a un penchant naturel pour le voyeurisme. Qui ne s'est jamais demandé comment les autres faisaient telle ou telle chose? Qui ne s'est jamais surpris à observer des gens au loin, depuis une fenêtre, une serviette sur la plage? En tous cas, moi ça m'arrive souvent. Je me souviens d'une voisine que j'ai surprise depuis ma fenêtre en train de lire dans son lit, seins nus. Je pense qu'elle a dû s'apercevoir de ma présence car quelques jours plus tard, elle avait fait installer un rideau, je ne voyais alors plus que la lampe au travers la fenêtre, lors de ses lectures nocturnes.
Dans Les yeux brouillés, Rémi Lange joue avec cette attente du voyeurisme. Il se permet d'incruster la caméra et son public au sein de son couple qui bat de l'aile. Puis il nous apprend que tout ça a été inventé. Le doute s'installe, qu'est-ce qui est vrai et qu'est-ce qui est faux. Juste au moment où je me disais que le film aurait pu ne durer que 20 minutes, le réalisateur ajoute cette nouvelle donnée qui change tout, cette nouvelle dimension qui bouleverse toute l'appréhension que l'on peut avoir du film. En même temps, on ne sait pas si on doit le croire, ce qui est un comble, car ça voudrait dire que je ne le crois pas quand il dit ça parce que je pense que son film est vrai? Quel paradoxe. Ou alors il faut croire ce qu'il dit à ce moment là, c'est-à-dire accepter que tout n'est pas vrai.
J'aime beaucoup le montage de Rémi Lange, c'est très cut très rapide, pas vraiment le temps de s'ennuyer. En plus, contrairement à ce qu'il dit, il est capable de dire de bonnes blagues : "ce serait bien que pour commencer le film, ma grand mère meurt". Ca vous fait pas rire, vous?
Mais l'ultime bonne idée de ce jeune réalisateur, c'est la double temporalité. Par les images, Rémi nous donne à suivre une narration assez classique qui va d'un point A à un point Z. Mais avec la voix off, il devient Dieu et parle d'un point antérieur, futur, ou carrément d'un autre monde (quand il dit que tout est inventé). Ce choix est audacieux et maîtrisé de bout en bout, l'auteur en joue et nous manipule, nous bouscule.
Bref, Les yeux brouillés est un très bon docu-fiction qui pose de bonnes questions sur la narration, sur le pouvoir du caméraman... un bel hommage au cinéma quoi!