On le voit venir de loin, L’Étreinte du Serpent. Voyages en Amazonie, faune et flore sauvages, rencontres de deux cultures opposées, quête initiatique, on devine tout cela dès les premières images.
Cela n'empêche pas le choc.
Cela n'empêche pas le spectateur d'être littéralement happé dès les premières images. Des images absolument superbes (elles le resteront pendant tout le film, sans jamais que cette beauté soit le fruit d'une esthétique vide, bien au contraire). Des les premiers plans, le fleuve se confond avec le ciel. Le fleuve, moyen de communication, lieu du voyage, et le ciel, lieu du rêve, mais aussi du savoir, ne forment qu'un. Nous allons donc être dans un voyage qui prendra la forme du rêve. Une quête onirique. Un voyage qui, comme il se doit, se fait plus à l'intérieur qu'à l'extérieur. Et quel meilleur procédé que le rêve pour entrer en soi ?
Le film va se jouer énormément sur la tension entre ouverture et fermeture. Ainsi, le fleuve est un lieu d'ouverture. C'est par le fleuve que l'on voyage. C'est par le fleuve que l'on part à la rencontre des autres. C'est aussi par le fleuve que les étrangers arrivent.
D'emblée, l'ouverture représente un danger. C'est par l'ouverture aux Blancs que les problèmes se sont installés : dégradation de la forêt, exploitées à outrance pour le caoutchouc ; dégradation spirituelle, avec cette mission catholique où le père fouette violemment les enfants, des enfants qui n'ont même pas le droit de parler leur langue natale, qui ont été re-baptisés de noms « bien chrétiens » (dégradation culturelle). Matérialisme, enjeux commerciaux, les Blancs entraînent la douleur avec eux. « La science des Blancs conduit à la violence et à la mort ».
Face à cela, il y a l'enfermement. Le repli sur soi. La forêt est le lieu idéal. D'ailleurs, dès qu'il a été abordé par les Blancs, Karamakate les entraîne dans la forêt. Son domaine.
L'intelligence du film est de dépasser cette opposition binaire. En faisant du voyage, qui normalement est une ouverture au monde, l'explorateur va se replier sur lui-même. Et en se repliant sur lui-même, il va s'ouvrir à une réalité supérieure. Au lieu de s'opposer, les deux propositions vont s'unir pour mener à quelque chose de plus grand.
Le voyage (on devrait dire « les voyages », puisqu'il y en a deux, séparés de quarante ans, mais dans ce monde immémorial, il n'y a aucune différence entre le début du 20ème siècle et la période de la Seconde Guerre Mondiale ; les deux voyages se superposent, non seulement parce qu'ils se déroulent dans les mêmes lieux, mais parce que le parcours spirituel est le même ; le second voyage se contente d'être l'achèvement du premier ; ainsi donc, le film annihile l'aspect chronologique, rendu inutile : nous ne sommes pas dans un succession temporelle mais dans une progression spirituelle) fait beaucoup penser à Conrad. Voyage au cœur de la folie colonialiste, avec ces Indiens qui perdent leur identité, leur culture, leurs cultes, jusqu'à devenir des Chullachaqui, des enveloppes charnelles vides, sortes de fantômes sans souvenirs.
En cela, Karamakate est plus qu'un simple chaman. C'est un représentant de la forêt, et comme elle il dépérit.
Mais à la différence de Conrad, il y a de l'optimisme dans le film. Le fait que le successeur de Karamakate soit un Blanc est une ouverture (là aussi) plus qu'intéressante.
Il faut dire que, dès le début, le botaniste américain apparaît comme l'incarnation de la mémoire perdue par le chaman. C'est lui qui peut décrypter les dessins, c'est lui qui sait où aller, quelle direction prendre, etc. Il s'impose d'emblée comme étant le point de rencontre des deux cultures, d'où la phrase de Karamakate à son sujet : « tu es deux hommes ».
De même que le film transcende la distinction entre ouverture et fermeture, le personnage d'Evan transcende la distinction entre Blancs et Indiens, ce qui lui permet d'accéder aux vérités spirituelles que les Blancs trop matérialistes ne cherchent même pas.
Beauté visuelle, intelligence du scénario, réalisation qui, par sa force, nous plonge dans l'onirisme au lieu de nous parler de rêves. En bref, un très beau film.