Inger Servolin est norvégienne.
Arrivée en France en 1953 elle a créé dans les années 60 , années foisonnantes d'espoirs et pleines d'utopies, une société de production de films militants, du cinéma documentaire engagé donc et fait par conséquent figure de pionnière en tant que femme productrice de films (la première ou l'une des première en France) et en tant de productrice de films documentaires engagés.
D'abord appelé Slone puis Iskra cette petite entreprise a plus de 200 films à son actif, certes confidentiels pour la plupart mais qui constituent un riche patrimoine des luttes, du militantisme, des combats menés en France et ailleurs...et elle existe toujours plus de 50 ans après sa création malgré des périodes plus difficiles, tant sur un plan financier qu'humain.
Le but des films produits est d'abord de faire parler ceux qu'on entend jamais (donner la parole aux paysans, handicapés, ouvriers...) et abordent également des thèmes militants classiques des années 60/70 (notamment les occupations d'usine...).
Inger Servolin a aussi été la productrice / assistante de l'ombre du cinéaste Chris Marker (réalisateur notamment du film « le joli mai »).
Ce film documentaire de Maria Lucia Castrillon raconte donc cette épopée à bases d'interviews (d'Inger et de ses proches familles ou compagnons de lutte), de séquences récentes de sa société dont elle est toujours gérante à 86 ans et d'images d'archives (mai 68, Chili 73 par exemple ou extraites de ses propres productions).
C'est donc un documentaire militant sur le cinéma militant.
Passionnant car ce film lui aussi engagé montre les difficultés du cinéma militant de documentaires indépendant, que ce soit pour le financement, la distribution ; il montre le dévouement de ces activistes cinéastes pour produire, stocker, envoyer, récupérer, dupliquer les bobines...
Passionnant car il montre les difficultés de proposer une autre information, une autre façon de montrer notre monde.
Un travail ingrat car l'indépendance a un prix et il faut arriver à exister face aux médias et aux grosses boites de production y compris celles « alternatives » mais moins intransigeantes.
Car Slone et Iskra ont fait le pari d'être engagés et indépendants vis à vis des partis politiques et des syndicats dès sa création.
Le genre d'alternative qu'il faut soutenir plus que jamais quand on voit comment les médias, quotidiennement, essaient de nous lobotomiser et de nous conditionner.
Un documentaire passionnant si on s'intéresse au sujet (sinon ça risque d'être un peu indigeste et rébarbatif).
Comme j'ai vu ce film dans le cadre d'une projection/débat avec la réalisatrice colombienne Maria Lucia Castrillon et avec Inger Servolin cela m'a aussi permis d'avoir une meilleure compréhension du sujet et de l'expérience menée, et donc une approche différente du film.