Lorsqu’on connait, après Le Plaisir ou Madame de… le raffinement de Max Ophüls, le voir adapter Stefan Zweig relève de l’évidence. La rencontre des deux maitres occasionne une perle mélancolique et mélodramatique.
La tenue du récit, tout entier contenu dans la lettre que reçoit Stefan, permet un recours à la voix off de Lisa qui va, en dépit d’une absence qui caractérise toute sa destinée, murmurer tout au long du film les splendeurs d’un amour perdu.
Lettre d’une inconnue est la mise en voix d’une absence, la confession d’une femme réduite à vivre un amour spectacle. Le pianiste virtuose l’émeut tout d’abord par sa musique, à travers une fenêtre sur cour qui accroit la solitude fantasmatique d’une jeune fille condamnée à rêver sa vie sentimentale.
Avec la finesse qui le caractérise, Ophuls enserre dans ses mouvements les circonvolutions d’une émotion contrariée sous les feux d’une société viennoise rutilante. Qu’importe les ors des uniformes et le brillant des lustres, c’est bien la claustration et le renoncement qui marquent la destinée de Lisa. Au paroxysme de sa vie, l’instant d’amour sera lui-même toujours sous le sceau du spectacle et de sa vibrante facticité : c’est la danse désertée par les musiciens fatigués, ou le voyage dans un train devant lequel défilent des paysages peints, de Venise à la Suisse.
Le motif de l’escalier et les travellings qui l’accompagnent, récurrent dans l’esthétique d’Ophuls, prend ici une valeur dramatique particulièrement structurante à travers deux séquence : la première où Lisa voit d’en haut Stefan rentrer avec une femme d’un soir, la seconde où elle occupe sa place, sans savoir qu’elle vaut autant qu’elle pour celui qui l’accompagne.
Inconnue elle fut, inconnue elle restera : même avec l’homme de sa vie, à qui elle pourrait présenter son fils, elle demeure hors de portée, dans un des échanges les plus pathétiques de l’histoire de retrouvailles amoureuses.
Alors que tout s’effondre, le mutisme du pianiste jadis prodige souligne le silence d’une femme qui va s’éteindre et perdre brutalement tout ce qu’elle avait chéri : son fils, le père de celui-ci, l’amour de sa vie, et sa vie propre.
Noces funèbres, les confessions épistolaires ne sont en outre que le prélude au duel entre son mari et Stefan.
Chant du cygne d’une délicatesse infinie, mélancolie d’une dignité feutrée, Lettre d’une inconnue emmène le mélodrame au sommet.